Claude Tousignant / Le design italien : Des goûts et des couleurs…
Décidément, ces temps-ci, les galeries commerciales s’intéressent beaucoup à l’art l’abstrait. Cet hiver, on a eu droit, chez Simon Blais, à la très belle exposition Poèmes barbares (avec des couleurs presque explosives) du regretté Jean McEwen. Ce printemps, à la galerie de Bellefeuille, c’est au tour de l’artiste Claude Tousignant de nous montrer la force bien actuelle d’une démarche artistique développée depuis les années cinquante.
Si ces galeries s’intéressent autant à l’art abstrait, c’est qu’il représente un marché des plus rentables. De nos jours, ce type d’art est «classé», officiellement reconnu dans tous les musées à travers le pays. Pour quelques dizaines de milliers de dollars, on peut donc encore s’acheter un morceau d’histoire de l’art. Mais il y a une valeur symbolique attachée à cette valeur marchande. Ce type d’exposition nous donne la possibilité de réévaluer l’importance de l’abstraction dans notre histoire de l’art récente qui fut, il le faut dire – et insister sur ce point – extrêmement riche intellectuellement.
Intitulée Espaces-Tensions 1955-1998, cette rétrospective de l’ouvre de Tousignant, préparée à partir de la collection de l’artiste, fait le point, pour le peintre et pour le public, sur un pan important de l’histoire de la peinture au Québec. Et c’est un bilan plus que positif que nous présente cette exposition. Certes, la peinture abstraite a de nos jours perdu un peu de sa force politique et de son effet de contestation. Elle n’est plus le signe flagrant d’une différence (artistique et sociale). Néanmoins, elle reste avec Tousignant le lieu d’une recherche visuelle spécialisée et captivante.
Ce peintre fut (avec Molinari) à la base du mouvement des «nouveaux plasticiens», ou, comme l’a écrit Fernande Saint-Martin (dans un article de 1966 intitulé Le dynamisme des plasticiens de Montréal), du post-plasticisme. Ce courant artistique s’opposait à la peinture des automatistes. Tousignant fut un des premiers dans les années cinquante (en même temps que McEwen dans un genre bien différent) à réfléchir sur la peinture monochrome et à jouer sur ses limites. Et tout au long de sa carrière, Tousignant a poursuivi une réflexion sur les possibilités visuellement illimitées de ce médium. Toujours avec très peu de moyens, le peintre donne beaucoup à voir. Il y a un aspect un peu magique dans son travail.
Dans cette expo, on peut voir des tableaux de jeunesse extrêmement intéressants. L’arlésienne, Les taches et (surtout) Septimale (tache), tous les trois de 1955, sont extraordinaires. Bien sûr, les célèbres formats circulaires (dont les séries Gong et Accélérateurs chromatiques) réalisés à partir de 1965 y sont aussi. Les cercles peints deviennent tournoiements entêtants et hypnotiques, vibrations chromatiques. Cela brûle les yeux. La peinture, qui bien souvent est perçue par la population comme un objet de contemplation et de repos visuel, y retrouve une force presque insoutenable. Malgré le fini impeccable, presque mécanique et un peu froid des toiles, les couleurs évoquent une forte énergie et un sentiment de liberté.
Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ne sont pas en reste. Polychrome: Grand paysage bleu ou Tableau rouge #1 produisent des effets visuels captivants. Les côtés du tableau, peints d’une autre couleur, rayonnent sur le mur. Cela crée un effet de champs colorés qui a dans la même veine que le travail de James Turrell (on pense à First light). Le tableau n’est plus seulement une expérience frontale (ce qu’il a été pendant la majorité de sa longue histoire avec quelques exceptions comme Les ambassadeurs de Holbein). On se surprend à se déplacer et à jouer visuellement avec celui-ci. La bordure fait partie intégrante de l’ouvre.
Quant aux tableaux bicolores, ils semblent produire dans l’oil du spectateur un effet de troisième coloris. Ces recherches sur l’impact rétinien des couleurs n’est pas sans évoquer les préoccupations des artistes pointillistes du 19e siècle. Radieux.
Jusqu’au 18 avril
Galerie de Bellefeuille
La philosophie du design
C’est bien connu, les Italiens font ça mieux que personne. Ils ont ce «je ne sais quoi», cette touche particulière qui a fait connaître leur savoir-faire à travers le monde. Et ça, ni les Scandinaves, ni les Français, ni les Allemands, qui pourtant leur font une compétition sans limite, n’y pourront rien. Ça s’appelle le charme, parfois la grâce ou l’élégance. Souvent, on y décèle une part de mystère. Ce qui est sûr, c’est que le design italien, depuis la Seconde Guerre mondiale, a un attrait particulier. Au Musée des arts décoratifs, on pourra en juger en allant voir l’exposition Le Design italien dans la collection du Musée des arts décoratifs.
Beaucoup des objets que vous y verrez sont devenus des classiques et sont présents dans tout bon livre de design. Très connu est le style Memphis, représenté par Ettore Sottsas, qui au début des années quatre-vingt semblait tellement postmoderne. L’étagère Carlton ou le tissu Schizzo (sic), qui représentent bien cette époque, nous sont familiers. Très intéressante aussi est cette vitrine où on peut voir de vieilles machines à écrire et des calculatrices fabriquées par Olivetti. Et ne manquez pas le secrétaire Architettura décoré par Piero Fornasetti et conçu par Gio Ponti, fondateur de la revue Domus, en 1928.
Voilà une bien belle exposition. On reprochera tout de même à l’ensemble de ne pas mettre assez l’accent sur les différences esthétiques, idéologiques ainsi que politiques entre les diverses approches coxistant dans le design italien. Pourtant, une phrase d’Umberto Eco placée au mur laissait augurait une réflexion de ce type: «Si d’autres pays ont eu une théorie du design, l’Italie, elle, avait une philosophie du design, voire une idéologie». En effet, entre le secrétaire, très droit et très bourgeois, de Ponti réalisé dans les années cinquante, et les très coulants sièges modulaires en mousse (intitulés Malitte) de Roberto Sebastian Matta, de 1966, il y a toute une différence dans la manière de se tenir et d’être au monde.
Profitez de cette visite au Musée des arts décoratifs pour jeter aussi un coup d’oil à sa collection permanente, qui comporte des pièces étonnantes. Le Fauteuil Miss Blanche de Shiro Kuramata, composé de roses artificielles coulées dans de l’acrylique transparent, n’a certes pas l’air très confortable mais se révèle d’un kitsch bien amusant. Idem pour la robe en plastique jaune et transparent créée en 1967 par Paco Rabanne.
Jusqu’au 11 septembre
Au Musée des arts décoratifs
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