Massimo Guerrera : L’eau à la bouche
Avec ses installations, MASSIMO GUERRERA critique la société de consommation, et l’intrusion du monde corporatif dans les domaines privé et public. Cliché mais troublant.
Au premier regard, c’est un peu fouillis et même agaçant. Est-ce une réaction générée par des habitudes de perception induites par les visites dans les galeries et dans les musées tous impeccablement installés? Quoi qu’il en soit, le travail de l’artiste Massimo Guerrera à la Galerie Leonard & Bina Ellen rebute à première vue.
Il faut dire que dès l’entrée, l’artiste nous présente pêle-mêle une série de circulaires et publisacs… À les voir ainsi étalés sur le sol, sur des paillassons, ou accrochés sur les murs, on peut croire qu’ils ont vraiment réussi à s’infiltrer jusque dans l’espace même de la galerie. L’invasion publicitaire est-elle illimitée?
Avec Porus, 99 études empiriques sur l’étanchéité domestique instable, Guerrera réfléchit sur «les façons dont les systèmes corporatifs modernes s’immiscent dans les domaines privé et public». Ce n’est certes pas un sujet nouveau, et parfois certains éléments de cette installation frôlent le cliché et la critique facile de la société de consommation. Par exemple, McBaby, dessin d’un monstre hybride mi-bébé, mi-Big Mac, est un peu simple. Dans le même esprit est le commentaire: «Poupée Joyeux Festin McDonald. Elle prend une bouchée de hamburger, le remet dans son emballage et la bouchée manquante réapparaît comme par magie.» Cela met en scène une société américaine ayant l’appétit abyssal que l’on connaît.
Néanmoins, ces dessins plastifiés et simplement collés aux murs à l’aide de ruban à masquer sont des plus intéressants. Une série d’images hétéroclites y sont présentées. Parmi celles-ci, on reconnaît des lieux communs tels une maison avec un abri Tempo, un bureau avec un ordinateur, une cuisine… Tout est dessiné comme par un architecte ou pour une publicité. Des phrases viennent ponctuer ce dispositif visuel: «Entre l’atelier, le bureau et la cuisine nous pétrissons la pâte-parole.» Ce «nous» reste bien ambigu. Qui fabrique notre identité sociale? Là un dessin avec une bouche ouverte et un appareil digestif qui semblent en état de recevoir n’importe quoi. Notre identité se réduit à un tube digestif prêt à faire circuler à peu près tout. Des personnages entrelacés, aux bouches interconnectées, semblent eux aussi se résumer à leur capacité à gober des éléments du monde extérieur.
Bureau d’ouverture est une ouvre tout aussi troublante. Des meubles deviennent des hybrides monstrueux. Dans un bureau, un trou creusé ressemble à un orifice. Est-ce une bouche permettant d’ingurgiter encore quelque chose ou, au contraire (ce qui donnerait un certain espoir), un trou permettant d’évacuer des déchets? Effrayant.
Jusqu’au 15 mai
Galerie d’art Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia
Plâtres et corps statufiés ?
Stéphanie Béliveau, prix Pierre-Ayot en 1997, présente à la Galerie Trois Points La Chambre des plâtres. On peut y voir toute une série de sculptures intitulée Réfectoire. Ces ouvres montrent des parties de corps (réalisées à base de papier kraft) enveloppées de véritables plâtres ayant permis la guérison de fractures. Ce sont des moules, presque des carapaces, possédant encore les traces des corps qu’ils ont protégés. Comme le dit David Liss dans le texte de présentation, ces simples objets se trouvent élevés au niveau «d’artefact vivant d’un rituel de guérison». Malheureusement, c’est parfois un peu littéral. Les mots «temps de reconstruction» écrits sur Réfectoire no9 apparaissent un peu trop simples par rapport à la complexité de la douleur et du processus de convalescence que ces ouvres symbolisent d’une manière générale.
Plus forts sont les quatre tableaux présentés. La qualité du dessin y est indéniable. Le Dispensaire, un corps dans un tissu qui fait penser à un linceul (très proche des bâches recousues de Betty Goodwin), les bras suspendus et entourés d’un carcan, évoque plus la torture que la médecine hospitalière et la guérison. Il faut dire qu’en 1997, Béliveau a été très troublée par sa visite du camp d’Auschwitz. La technologie et la science y ont aidé à produire les plus grandes atrocités. Rappelons-nous comment le médecin-chef d’Auschwitz, Josef Mengele, faisait d’horribles expériences sur les prisonniers.
Cela fait aussi penser aux cruautés de la guerre qu’un film comme Johnny Got His Gun dénonce en montrant un jeune soldat dépourvu de bras, de jambes et de visage mais maintenu en vie par tout un corps médical. Dans les tableaux de Béliveau, on sent un corps dépossédé de lui-même. Pétrifiant. Jusqu’au 1er mai. Galerie Trois Points Jocelyne Aumont.
Chassé du paradis
Dans ses photos (imprimées par jet d’encre sur papier Arches), Diana Shearwood met en scène un paradoxe presque sublime en rendant attirant ce qui devrait nous apparaître repoussant. Dans cette série d’images d’hôtels, on admire en effet une contradiction troublante entre de superbes couleurs paradisiaques et un décor, en ruine, comme après une catastrophe. Ciel très bleu d’une pureté absolue, rose presque fluo, vert tendre, tous ces coloris créent une luminosité fabuleuse qui séduit malgré la désolation des lieux représentés. Des trous dans un mur (dus à des tirs de fusil) et des cloisons à moitié démolies nous disent un drame important. Cela évoque un peu un pays sud-américain (avec ses hôtels attrayants pour les touristes) après une révolution, ou Key West après un ouragan. Ces clichés sont au croisement de la Floride branchée de Miami Vice et le monde postnucléaire du film The Day After. Les titres très descriptifs et formels comme Green Spiral Curtain ou Pink Foam Sofa ajoutent à ce malaise. Comme si l’esthétisme trouvait toujours (et encore plus) le moyen de s’affirmer.
Toujours à la Galerie Devlin, les clichés de l’artiste d’origine tchèque Milan Sklenar sont impeccables bien qu’un peu trop traditionnels. Cependant cette expo recèle quelques surprises. Cobblers montrant les reflets sur la vitrine d’une cordonnerie est vraiment splendide. Jusqu’au 1er mai. Galerie Eric Devlin.
Fers à tout faire
Artiste de Moncton au Nouveau-Brunswick, Anne-Marie Sirois a plus d’une corde à son arc. Elle est illustratrice de livres pour enfants, réalisatrice de dessins animés, bédéiste et affichiste. Elle expose à la Galerie Clark une trentaine de fers à repasser transformés en bateau, en chapeau, en trousse à crayons, en sandale, en violon, en trophée de chasse, en cafetière… C’est un bel exercice de style (digne de Queneau). Visuellement très intéressant. Jusqu’au 9 mai. Galerie Clark