Arts visuels

Débat sur l’art : Polémique sur l’art contemporain

Le débat sur l’art contemporain revient de manière cyclique au Québec. Ces jours-ci, c’est au tour du marchand et collectionneur d’art Alysouk Lynhiavu de déplorer le peu de place qu’occupent «ses artistes figuratifs» dans le milieu de l’art à Québec, tant en ce qui concerne les lieux de diffusion et les médias que les subventions. Voilà une belle occasion de tenter de cerner la conception de l’art que sous-entend ce discours. M. Lynhiavu reprend les propos tenus par l’ancien chroniqueur Jacques Dufresne du journal La Presse en 1991. Une série d’articles avait alors donné lieu à de virulents échanges au sujet de l’art contemporain. Jacques Dufresne arguait que les artistes figuratifs n’ont pas accès aux subventions des gouvernements et que les «descendants» de Borduas exercent une «tyrannie» sur le monde de l’art. Reprenant le discours de Jacques Dufresne, Alysouk Lynhiavu pleure le manque de visibilité de ces artistes. Il semble pourtant ignorer que ce problème de lieux de diffusion n’est pas propre aux «peintres figuratifs». Il ignore également, comme le rappelait le regretté Serge Lemoyne en 1991 au journaliste de La Presse, qu’il y a des milliers d’artistes dont les demandes de bourses sont refusées chaque année, et ce ne sont pas tous des peintres en réaction contre l’art actuel. Le discours de Lynhiavu et de ses amis a aussi des parentés avec celui de l’écrivain et peintre Sergio Kokis, dont on peut voir actuellement les portraits de clowns à la galerie Linda Verge. Dans un article paru dans L’Actualité d’avril 1998, Kokis allait jusqu’à remettre en question l’originalité de l’ouvre de Borduas dans l’histoire de l’art du Québec. Tout ça après s’être qualifié lui-même de «peintre très important» et d’homme «au cour à gauche»! Inutile de dire qu’il ne s’est pas fait que des amis.

Les Lynhiavu, Kokis, Dufresne et compagnie défendent l’art figuratif «contre» l’art contemporain. Mais, comme l’a rappelé l’historienne de l’art Rose Marie Arbour dans Le Devoir à l’automne 1991, opposer la figuration à l’art contemporain est un faux débat. Dès les années 60, plusieurs artistes américains sont revenus à la figuration, depuis Andy Warhol et les peintres du nouveau réalisme. Au Québec, les références figuratives ont depuis longtemps réintégré les ouvres de plusieurs artistes. Alors, le problème est ailleurs. En fait, le discours sur le rejet de l’art contemporain sous-entend une conception conservatrice de l’art, valorisant l’esthétique, l’harmonie, le sujet, le beau et le travail de représentation bien fait, ou encore, chez les plus excentriques, l’authenticité de l’expression de l’artiste. Pas de place ici pour des questions sur la nature de l’art, pour les remises en cause de ses limites, des médiums traditionnels ou de la représentation. Comme le disait Duchamp, «l’art, c’est n’importe quoi, mais à telle heure!» Et puis, plutôt que de revendiquer la place de la figuration, les artistes floués et marginalisés par le système des arts visuels auraient avantage à reprendre à leur compte la déclaration de l’artiste allemand Joseph Beuys, qui répétait à qui voulait l’entendre: «Chaque homme est un artiste.» Le débat prendrait alors une toute autre ampleur…