Après les écrivains, c’est au tour des artistes québécois d’envahir Paris avec une série d’expositions et d’installations dans le cadre du Printemps du Québec. Malheureument certains d’entre-eux n’ont pas su éviter les clichés culturels. Un Printemps inégal.
Si le but du Printemps du Québec à Paris était de changer l’image que les Français ont de nous, c’est raté. Dans le domaine des arts visuels, du moins, le bilan est plutôt négatif. Même si le commissaire de l’événement, Robert Lepage, a énoncé le désir d’esquisser «ce Québec en marge des a priori», dans les faits, le résultat donne l’image inverse.
Par où commencer? Par la plus clichée et décevante intervention: l’installation architecturale De l’igloo au gratte-ciel, de Pierre Thibault, dans les célèbres jardins des Tuileries. La visibilité du lieu demandait une réflexion plus approfondie. Le visiteur suit un parcours-panorama du nord au sud du Québec reconstitué principalement avec du bois, de la toile et un environnement sonore. On progresse de l’igloo du Grand Nord à la toundra, puis vers la forêt qui «s’étend à l’état sauvage sur une grande partie du territoire» – on est bien loin de la coupe à blanc… – formée d’arbres de contreplaqué! On aboutit finalement à l’érablière (où l’on fabrique «sirop, sucres dur et mou, tire»), à la maison longue des Amérindiens et aux gratte-ciel de Montréal. Oubliez les bungalows de la banlieue nord-américaine…
L’installation de Thibault sert plutôt à toute une série d’activités diverses et très fin de siècle: le laçage de raquettes, la fabrication de canots, la construction de tipis avec la présence d’artisans autochtones. Tout cela fait penser à une exposition universelle. On est bien loin de l’impact public et de la force troublante de l’oeuvre Clara-Clara, de Richard Serra qui occupait ce parc au début des années 80. On en entend encore parler. Certes, il s’agit «d’un voyage à travers des archétypes», mais était-on obligé de faire dans l’exotisme?
Autre événement phare de ce Printemps: La Traversée des territoires, installation sculpturale de René Derouin, au Jardin des Plantes. Et autre déception. On a pu voir récemment (au Musée des beaux-arts de Montréal) la force des gravures de Derouin mais aussi les limites de son travail sculptural. Belle ironie que d’inviter à Paris celui qui a voulu rompre avec l’axe culturel Québec-France. Sur plus de 45 mètres, des plaques d’aluminium servent de support à 1999 figurines qui semblent se déplacer entre 4000 arbres et une multitude de lacs. Des couples de mots découpés dans le métal s’opposent (ou se complètent) d’une manière banale: hommes/femmes, ouest/est, Québec/espace nord, énergie/un million de lacs, eau/fleuve, lourdeur/poids… C’est bien loin de l’inventivité et de la richesse langagière des surréalistes. On a du mal à ressentir dans cette ouvre posée sur le sol, et que l’on domine totalement, tout l’enjeu physique et psychologique de la migration héroïque qu’elle met en scène. On se sent simple spectateur distant, survolant froidement cet espace. Lors de l’inauguration officielle de son ouvre (au son d’une chanson de Gilles Vigneault), Derouin ne reniait pas les liens que certains ont voulu faire entre son ouvre et l’exode des réfugiés du Kosovo… Belle récupération…
Heureusement, l’exposition Femmes, corps et âmes réalisée par le Musée de la civilisation à Québec et présentée dans le superbe Couvent des cordeliers met en scène des ouvres fortes ainsi qu’une très adroite scénographie muséologique (réalisée par Alice Ronfard et Danièle Lévesque). L’identité sociale des femmes y est déconstruite et analysée. On y parle avec force de liberté et de dépassement des limites. Bien intéressant est le court métrage de Léa Pool intitulé Lettre à ma fille, malgré ses tendances mère protectrice (le commentaire qui veut «mettre en garde contre le viol, le harcèlement et la drague non-désirée» est victimisant. Les momies de Dominique Morel ainsi que les représentations de corps de Violette Dionne et de Pascale Archambault sont troublants. On regrettera cependant très vivement certains des textes écrits, placés ici et là, qui appauvrissent et résument trop simplement le sens des oeuvres. Par exemple, celui-ci à propos du travail de Morel: «Ces personnages silencieux symbolisent l’enfermement du savoir féminin dans les ténèbres de l’histoire.» Mais qui veut absolument reproduire éternellement le modèle historique héroïque et prêt à la citation des grands hommes? C’est parfois un peu répétitif et pas très nouveau: «Le corps couché évoque la femme silencieuse et passive: objet de désir, d’observation et de modelage artistique.» Malgré cela, c’est visuellement très fort.
L’exposition Espaces intérieurs préparée par le Musée du Québec et présentée au Passage de Retz, dans le Marais, est sans nul doute l’événement le plus important de ce Printemps du Québec. Les artistes choisis par Louise Déry et Nicole Gingras (pour la section vidéo) montrent un visage, bien sûr partiel, mais malgré tout très intéressant de la production artistique québécoise. Les Français qui iront voir cette exposition y auront une vision assez juste de l’art au Québec. On tente d’y présenter une américanité québécoise moins cliché, moins remplie de grands espaces à explorer et de nature encore sauvage. Déry cite l’intellectuel Pierre Nepveu qui s’oppose à la vision épique de la construction identitaire américaine.
L’exposition comprend des travaux pertinents de Rober Racine (avec ses efficaces Pages-Miroirs), Raymonde April (avec, entre autres, l’extraordinaire photo Le Portrait de Michèle), Jana Sterback, Nicole Jolicour, Dominique Blain, Lucie Duval, Angela Grauerholz, et Roberto Pellegrinuzzi (ce dernier aura cet été une importante exposition à la Maison européenne de la photographie), dont cette fois-ci on ne nous montre pas les clichés de feuilles mais plutôt un montage d’images de mains piquées ensemble presque comme elles pourraient l’être chez l’acupuncteur… Du côté des vidéos on peut voir ceux de Robert Morin, Charles Guilbert, Serge Murphy, Michel Grou, Esther Valiquette, Michèle Waquant et (pour notre plaisir) à nouveau Rober Racine…
Bien sûr, on n’a pas pris de grands risques, tablant sur des artistes reconnus. On regrettera dans cet ensemble qu’il n’y ait pas assez d’artistes en début de carrière. Par exemple le groupe BGL, qui a présenté ses installations autant à Québec qu’à Montréal et qui pose un regard différent et décapant sur l’américanité et ses banlieues kitsch. Ce sera pour un autre printemps…