Istvan Kantor : L'art du fracas
Arts visuels

Istvan Kantor : L’art du fracas

ISTVAN KANTOR persiste et signe. L’ancien «néoïste», répondant au nom de Monty Cantsin, présente à la galerie Oboro une exposition qui s’attaque au conformisme des institutions culturelles. Iconoclasme ou provocation artistico-branchée?

Istvan Kantor est un provocateur. Cet artiste d’origine hongroise est surtout connu pour avoir aspergé de son sang, en 1988, un pan de mur situé entre deux Picasso au Musée d’art moderne de New York. Ce geste, il l’avait déjà exécuté au Musée d’art contemporain en 1985 et il le répéta à la Art Gallery of Ontario en 1989, ainsi qu’au Musée des beaux-arts d’Ottawa en 1991.

Dans cette dernière institution, on interdit l’entrée à Kantor sous peine de poursuites judiciaires. S’agissait-il d’un désir calculé de faire l’histoire de l’art et d’entrer au musée, ou bien d’un acte contestataire vraiment authentique?

Ce qui est sûr, c’est que l’artiste est fasciné par le nihilisme et par une certaine forme de destruction (symbolique) de l’art. L’iconoclasme présent dans le travail de Kantor fait penser au futurisme qui prônait la destruction des musées et des bibliothèques ou même au land art qui s’en prenait aux institutions muséales vues comme des hôpitaux tenant artificiellement en vie l’art du passé.

Dans sa nouvelle expo, chez Oboro, on peut lire des textes sur la beauté du vandalisme. On y traite de la démolition de la maison de Raynaud; d’Alexandre Brener, qui a dessiné un graffiti sur une toile de Malevitch dans un musée; et de la Danaé de Rembrandt qui fut aspergée d’acide sulfurique par un vandale.

Avec The File Cabinet Project, on a affaire encore une fois à une production pétaradante et qui s’attaque aux institutions. Des classeurs montés sur des structures métalliques sont dans un mouvement continuel de basculement. Cette dynamique entraîne une ouverture et une fermeture de toute une série de tiroirs qui produisent un bruit effrayant, ce que Kantor nomme la «bureauphonie». La mécanique bureaucratique y retrouve toute sa subtilité…

La vidéo où l’on voit Kantor en train de s’accoupler avec un de ces classeurs de métal est très drôle. Cela s’appelle Pelvis Stroke et énonce comment, dans le va-et-vient de la procédure administrative, il y a une forte présence libidinal. C’est très efficace et très différent de l’art si propre que l’on nous présente généralement. À voir.

Jusqu’au 13 juin
Centre d’artistes Oboro
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Molinari
À la Galerie Éric Devlin, Guido Molinari propose une nouvelle série intitulée Continuum, dont on avait déjà pu voir l’été dernier le tableau (numéro 8), lors de l’événement Peinture peinture. C’est sans aucun doute le moins fort et le moins troublant de la série. Les petites formes carrées s’y trouvent stabilisées par de plus grosses figures qui les entourent et qui établissent un ordre trop facilement compréhensible. Heureusement, les autres tableaux ne sont pas aussi statiques.

On a droit dans les autres ouvres à une peinture étourdissante. Au premier coup d’oil, ces acryliques composées de damiers aux couleurs vives semblent parfaitement symétriques. À y regarder de plus près, on s’aperçoit que le propos n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Lentement, on se surprend à jouer mentalement avec ces formes. Sur ces surfaces, on cherche un point ou une ligne d’ordonnance, pour finalement s’apercevoir que la régularité de l’alternance des coloris (trois ou quatre par panneaux) est continuellement troublée, décalée par des carrés de couleur qui apparaissent là où ils ne devraient pas être. Notre oil a alors du mal à se fixer en un endroit précis, à comprendre la logique organisationnelle du motif présenté. Devant certains de ces tableaux, plus on cherche une structure stable, plus cela bouge. Cet art a des liens avec la musique sérielle et la composition des fugues (de Bach, pas exemple) où les notes, dans un effet de course, n’en finissent plus de se réagencer.

Les couleurs participent beaucoup à cette mouvance compositionnelle. Cela fait penser au costume d’Arlequin, ou à un tissu jacquard où les coloris auraient été pensés pour créer une vibration chromatique.

Visuellement, ça se tord dans toutes les directions. Au bout d’un moment, lorsque l’on se déplace dans la galerie même les cadres semblent se contorsionner. Le dynamisme de la composition interne est accentué par le fait que ces formats carrés créent une impression de perspective. Lorsque l’on bouge devant ces tableaux, un effet de tension spatiale donne le sentiment que l’espace pictural est dans un mouvement continuel d’expansion et de contraction.

Cette recherche est très spécialisée et finalement accessible à ceux qui prendront le temps de se laisser emporter par sa mécanique sophistiquée. Il s’agit d’un bel exercice de style très troublant pour les sens.

Les cinq grands panneaux qui accompagnent cette série, et qui rappellent l’ouvre de Molinari au nouveau magasin Simmon’s, sont fascinants. Installés devant les immenses fenêtres de la galerie, ces pans de verre coloré créent eux aussi un étrange effet de déformation visuelle. Ils ont à la fois un petit côté cathédrale moderne et bar branché. C’est certes simple mais néanmoins irradiant.

Jusqu’au 5 juin
Galerie Éric Devlin

Perle rare
Il faut absolument visiter l’exposition de David Altmejd à la Galerie B-312. Certaines ouvres sont très drôles, d’autres au contraire plutôt tristes, mais à chaque fois on est surpris par la sensibilité du propos.

(boum boum) fait le cour du jeune amoureux, installation composée d’un réseau de fils (comme des nerfs?) qui s’actionnent, vibrent et tremblent lorsque l’on s’approche, est un beau renouvellement de l’humour de Duchamp avec son Grand Verre (qui se moquait des différents costumes et images que l’amoureux doit revêtir pour séduire). Sur un mur, on peut voir le nom de la célèbre adolescente juive victime des nazis, Anne Frank, constitué de fils et de petites perles. C’est comme un monument aux morts mais pour une fois d’une grande justesse par rapport à la personne remémorée, sans «héroïsation» factice. À travers ces quasi-colliers que souvent les enfants se fabriquent, Altmejd évoque l’enfance que cette jeune fille n’a pas vraiment connue. On dirait aussi un corail stratifié et mort de par son exposition publique hors de l’océan. Cette verrerie fait aussi penser à des larmes cristallisées. Fascinant. Jusqu’au 29 mai, à la Galerie B-312.