L’immensité de certains territoires tels que l’Ouest américain, le Pôle nord, la Lune et le reste de l’Univers nous fascine depuis au moins deux siècles. Avec Cosmos, le Musée des beaux-arts propose un panorama de ces merveilles qui ont marqué l’imaginaire collectif moderne.
L’exploration de l’univers, on pourrait même dire l’histoire du monde, sur deux cents ans, à partir (du point de vue) de l’Occident: voilà, en résumé, ce à quoi le Musée des beaux-arts nous convie. Pour sa troisième collaboration avec le MBAM, l’historien d’art Jean Clair, directeur du Musée Picasso à Paris, ne tentera pas de simplement rendre compte d’une décennie (comme il l’avait fait avec Les Années 20 en 1991), ni même de l’esprit de toute une fin de siècle (comme avec L’Europe symboliste en 1995). Avec Cosmos, cet historien d’art, qui a dirigé la Biennale de Venise il y a quatre ans, entreprend une tâche encore plus gigantesque: il nous invite à revivre l’aventure de la découverte des espaces inconnus, presque infinis, de la terre et du ciel.
L’immensité de certains territoires tels que l’Ouest américain, le Pôle nord, la Lune et le reste de l’univers fascine les êtres humains depuis au moins deux siècles. La représentation de ces espaces a permis d’en faire la description presque scientifique (pour en comprendre la nature spécifique), mais aussi de constituer des dispositifs et des mises en scène visuelles de l’ordre de l’extraordinaire. Comment appréhender et reproduire un émerveillement?
Cosmos montre les différents moyens représentatifs utilisés pour constituer cet effet.
Ce parcours gigantesque des différentes conquêtes spatiales (mais aussi visuelles) est réalisé grâce 380 objets, dont des peintures, dessins, sculptures de Van Gogh, Goya, Friedrich, Miro, Picasso, Brancusi, Calder, Mark Tansey, Kiki Smith (et j’en passe!), mais aussi d’objets décoratifs, de vêtements (dont le premier prototype de combinaison spatiale) et des documents scientifiques. Une pléthore de spécialistes – certains ayant déjà travaillé avec Clair – ont établi le corpus de ce panorama: Constance Naubert-Riser (directrice du département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal), Christopher Phillips (rédacteur de la revue Art in America), Pierre Théberge (ex-directeur du MBAM, nouveau directeur du Musée des beaux-arts du Canada), Didier Ottinger (conservateur au Musée national d’Art Moderne de Paris)…
Cosmos est un événement remarquable qui nous réconcilie avec le concept de méga-événement (à la différence de la récente exposition Monet qui – faute de moyens ou de vision? – ne menait pas à bout une idée qui aurait pu être intéressante). Malgré l’ampleur monumentale de son mandat, Cosmos trace un juste répertoire des lieux qui ont marqué notre imaginaire collectif.
Comme Pierre Théberge le fait remarquer, Cosmos, ce n’est pas simplement «une période, mais l’évolution d’une idée». Une telle approche permet des confrontations extrêmement riches entre des ouvres d’époques différentes. La juxtaposition des représentations d’icebergs de Bradford (artiste américain du XIXe siècle) et de Riopelle (avec Pangnirtung) est, par exemple, très forte. Dans ces rencontres, l’art moderne montre sa capacité à produire des effets spatiaux monumentaux.
Cosmos se permet même de montrer les sources anciennes de sa problématique. Certains éléments se réfèrent à ce que Michel Foucault a décrit comme étant «le grand scandale de l’ouvre de Galilée» qui «n’est pas d’avoir redécouvert que la Terre tournait autour du Soleil, mais d’avoir constitué un espace infini, et infiniment ouvert». Mais on aurait pu amorcer cette présentation en remontant à la découverte de l’Amérique.
Bien entendu, une telle exposition ne peut être que partielle. L’intérêt de Cosmos réside dans le formidable réseau de pistes qu’elle présente. On sort du musée avec une constellation d’idées en tête. On se demandera cependant pourquoi la conquête de l’Afrique (ou de l’Asie) n’est pas évoquée. Qu’en est-il aussi de l’épineuse question de la colonisation (qui pourtant se reposera un jour avec les planètes)? On regrettera aussi que la bande dessinée n’ait pas une place plus marquée. Certes, on a droit à Tintin, mais il y aurait eu bien d’autres exemples possibles. Si un médium a bien travaillé l’imaginaire cosmique des enfants et des adultes au XXe siècle, c’est bien celui de la bédé.
Selon Jean Clair, depuis deux siècles, les artistes ne souhaitent plus «embrasser la complexité d’un savoir technique devenu trop vaste». Cependant, les artistes n’ont pas pour autant opté pour une «régression nostalgique», ou pour une attitude de dérision vis-à-vis les sciences. Ils sont peut-être plus concernés par une vision du monde remettant en question les paramétres spatiaux habituels et laissant une plus grande place à la fiction. La journaliste Natasha Wolinsky (dans une entrevue avec Clair pour Beaux-arts magazine) a raison de dire que les mondes virtuels auraient eu leur place dans cette expo. En effet, avec Internet (et le dépassement de la territorialité des lois), ils représentent une disparition de l’espace conventionnel.
Finalement, la mise en scène de l’exposition est parfois inégale. Depuis quelques années, le MBAM a pris le pari de jouer d’une manière théâtrale sur l’espace de présentation pour mettre en valeur les ouvres. Cela donne parfois de très bons résultats: la présentation de l’expo Exilés + émigrés de Frank Gehry. Or, l’effet est moins bien réussi avec Cosmos. En particulier, les rideaux dans les deux premières salles semblent gratuitement pompeux. S’il s’agissait de recréer la démesure des espaces des expositions du XIXe siècle, le Musée aurait dû opter pour un décor avec des plantes (exotiques), des fauteuils damassés et un accrochage avec des étages de tableaux. Par la suite, c’est plus réussi. Les dernières salles, au sous-sol sont les plus impressionnantes. Les murs noirs, avec des faisceaux de lumières ici et là, créent un effet de nuit étoilée. La musique (de Strauss) qui accompagne les photos de David Malin envahit les dernières salles et évoque avec force l’ambiance du film 2001: l’Odyssée de l’espace… Troublant.
Cosmos, qui ira à Barcelone à la fin de cette année, est une occasion pour le MBAM de confirmer son rayonnement international. Exposition fabuleuse. À voir absolument.
Jusqu’au 17 octobre
Musée des beaux-arts
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