Kamila Wozniakowska : Corps étrangers
KAMILA WOZNIAKOWSKA n’a pas exposé son travail à Montréal depuis trois ans. Elle revient à la Galerie Dominion avec ses plus récentes peintures, présentées à Toronto tout récemment.
Les tableaux de Kamila Wozniakowska sont truffés de références à l’histoire de la peinture. Ici, la Liberté guidant le peuple de Delacroix; là, le Saint Sébastien d’Antonello da Messina. Ceux-ci servent moins à légitimer son travail (en l’inscrivant dans une prestigieuse tradition) qu’à montrer l’écart existant entre les codes de représentations anciens et modernes.
Lors du vernissage, la peintre a expliqué à Voir sa volonté de «revenir sur des gestuelles anciennes longtemps utilisées par les artistes et qui ne sont plus actuelles: les codes de représentation du corps n’étant plus aussi lisibles que dans le passé». En effet, les arts ont souvent codifié les poses du corps: pensons aux théories picturales de Lebrun, au XVIIe siècle ou aux concepts de pantomime (dont Wozniakowska s’inspire) de Noverre, au XVIIIe.
Chez Wozniakowska, les gestuelles créent un effet d’étrangeté. Dans ses tableaux, on voit des personnages discuter entre eux, mais sans que nous puissions comprendre ce qu’ils se disent ou ce qu’ils tentent de communiquer avec leurs corps. Le spectateur à l’impression d’assister à ces scènes de loin, à travers une vitre ou encore en étant devenu soudainement sourd. Les gestes des êtres représentés frôlent alors le grotesque. Cela fait penser au cinéaste Jacques Tati et au regard qu’il posait sur les travers de ses contemporains.
«Mes tableaux s’inspirent de la peinture de genre qui avait une tendance moralisatrice et qui faisait une critique de la société grâce à une satire humoristique des liens entre les gens pour montrer le «folie» du monde», explique l’artiste. Le titre de cette expo, Impostures, est-il alors vraiment adéquat? Il serait simpliste de vouloir montrer la tromperie des êtres tout en revenant à une morale. À voir ces tableaux, on a le sentiment que le propos dépasse ce niveau de lecture. Dans ces gestuelles étranges, on voit plutôt comment le présent se démarque du passé par l’invention de nouvelles manières de bouger, de se tenir, de se déhancher, d’articuler son corps. Les soubresauts (si choquants jadis) du pelvis d’Elvis ne sont pas loin…
Jusqu’au 2 juillet
Galerie Dominion
Construction naturelle
Pour sa seconde exposition, après le très troublant événement De la monstruosité, la jeune galerie D. René Harrison propose une réflexion sur la nature (sujet sur lequel l’art semble continuellement faire retour). Intitulée Ut Natura et Machina Poesis, cette petite présentation essaie de montrer comment, à travers la technologie, on peut rendre compte de l’expérience du paysage. C’est une intéressante idée, dont les résultats sont parfois inégaux.
On remarquera Bordelines de Michel Desrochers. Un ordinateur produit presque au hasard des séries de lignes colorées. Cela ressemble, à certains moments, à un arbre géométrisé (qui fait penser à Mondrian) et, à d’autres, à une carte géographique schématisée. Ou encore Earth’s Propulsion, de Sigrun Hardar, qui nous redit «la terre comme être vivant». Des écrans vidéo encastrés dans des protubérances organiques (presque grouillantes), sortant d’un coin de la galerie, diffusent des images de geysers en activité, crachant des colonnes d’eau chaude. Nuage rouge, de Christine Palmiéri (également directrice artistique de la galerie), Francis Catalano et Michel Desrochers, tente de recréer une forêt composée de tuyau de papier translucide sur lesquels se projette un vidéo avec différents types de paysage (la Baie géorgienne, les Plaines d’Abraham…). L’environnement sonore qui l’accompagne dépend de capteurs placés sur le toit de l’édifice. On regrettera que le support de papier donne un fini plutôt pauvre à cette création. Jusqu’au 10 juillet. Galerie D. René Harrison.
Ligne de feu
Longtemps durant, grâce à des figures de peintres comme Poussin et Rubens (mais aussi Ingres et Delacroix), les théoriciens de l’art ont souvent opposé la ligne du dessin à la tache colorée. La première semblait permettre une description froide, précise et cérébrale du monde, la seconde, au contraire, paraissait communiquer tout un registre d’émotions. Au XXe siècle bien des artistes ont remis en question cette vision limitée de l’art pictural. On pense à Pollock avec sa peinture gestuelle proche de la calligraphie et où les lignes-taches torsadées expriment un tourment intérieur.
Avec des tableaux comme Vol en bleu, Vol en vol ou encore Vol au vent, chez Graff, Jacques Hurtubise poursuit lui aussi ce type de recherche qui tente de sortir des conventions picturales. Les taches de couleur dans leur étalement sur la toile constituent des lignes, à l’intérieur de la forme produite, et non en son pourtour comme la convention le voudrait. Les découpes en négatif (parfois noires), et dont on suit la ligne contour, semblent quant à elles des traces d’une tache, d’un «splashing» de couleur. Cependant, toutes les ouvres (sur les huit tableaux et seize ouvres sur papier) présentées par Hurtubise ne produisent pas ces intéressants effets visuels avec la même intensité. Jusqu’au 26 juin. Galerie Graff.
Crash Art
On aura beaucoup de plaisir en visitant l’installation de Sébastien Cliche à l’Espace Vidéographe. Tous les fascinants éléments de No Safe Seats tournent autour de l’aviation civile, mais ne pourraient cependant pas servir à sa publicité. L’artiste a inventé la compagnie DisastAir dont le but est de produire une catastrophe aérienne.
Un vidéo nous montre l’intérieur d’un avion, rempli de mannequins, lors d’un écrasement. En intertitre apparaissent des phrases pour le moins douteuses: «Gardez vos ceintures et vous ne serez pas blessés»! Sur un panneau, quelques conseils à vous faire frissonner, sont adressés aux passagers: «Les disputes sont interdites lors de l’écrasement. […] Au moment de l’impact, nous conseillons aux passagers de se fermer les yeux»… En se promenant dans cette expo, on réalise que bien des conseils de sauvetage dispensés religieusement aux voyageurs sont offerts plus pour les rassurer que pour vraiment les sauver d’un éventuel danger. Dans le carton de présentation, Martin-Pierre Tremblay décrit le travail de Cliche (mais cela pourrait s’appliquer à l’aviation en général) comme un spectacle qui tient d’une «poétique de l’écrasement vécu comme rituel»! Jusqu’au 26 juin. Espace Vidéographe.
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