Des calligrammes d’Apollinaire jusqu’aux élucubrations dadaïstes de Picabia, le début du XXe siècle a vu une interpénétration entre les arts de l’écrit et de l’image. Pour l’exposition Les Bouches ouvertes, le commissaire ROGER BELLEMARE a questionné le rapport étroit entre l’image et le mot.
Dans sa présentation du projet Les Bouches ouvertes, Roger Bellemare souligne les distinctions entre l’écrit et l’image. Avec justesse, il relève le rapport au sacré de l’écrit et celui au païen de l’image. Le commissaire de cette exposition souhaite ajouter «à la compréhension de ce que les créateurs veulent dire, et disent en vérité, avec des mots devenus matière… à réflexion». C’est ainsi qu’on retrouve dans ce parcours, qui met en scène des artistes contemporains canadiens, un testament manuscrit du début de la colonie, des enluminures du XVe siècle, qui, dans ce contexte, font figure de jalons pour l’avancée des arts picturaux et littéraires. Ce qui prime dans les ouvres sélectionnées, c’est leur rapport à l’écrit, au sacré peut-être, qui par moments prend la forme d’une ouvre rehaussée par l’écriture, ou en d’autres temps d’une écriture mise en relief par l’ouvre. Dans certains cas, le lien avec la littérature est encore plus subtil, comme pour cette sculpture de Roch Plante, alias l’écrivain Réjean Ducharme – voilà que la littérature se pointe le bout du nez -, ou encore pour cette encre du poète multidisciplinaire Raoûl Duguay. Parmi ces objets liés presque ludiquement au thème de l’exposition, on trouve un Bouddha de terre cuite, non pas silencieux et paisible, mais bouche grande ouverte… Avec les pistes de lecture que nous donne Bellemare, chaque ouvre nous apparaît sous un jour nouveau, participant chacune à sa façon à la réflexion proposée.
L’exposition elle-même tient son titre d’une création de 1974 de Betty Goodwin, Les Bouches ouvertes. Cette ouvre est une simple page, en apparence dactylographiée (il s’agit en fait d’une eau-forte) sur laquelle se superposent des formes rondes béantes, qui crient littéralement leur préséance sur l’écriture. À ce chapitre, les nombreuses ouvres de Goodwin que l’on retrouve dans cette exposition – réunies par un collectionneur privé – comptent parmi celles qui épousent avec la plus grande éloquence le thème du commissaire Roger Bellemare. Par exemple, Note s’avère une illustration probante du thème proposé: sur un mémo chiffonné, une réflexion à la fois naïve et profonde sur le désir et l’amour, dactylographiée maladroitement, puis sertie dans un écrin de verre et de boulons… Le mot est à la fois exergue et corps de l’ouvre, lorsqu’une intention artistique l’élève et le présente sous un jour nouveau. D’autres ouvres entretiennent des rapports au fait littéraire, plus encore qu’à la simple composante qu’est la lettre. La photographe Geneviève Cadieux utilise la couverture du livre du Petit Prince et une photo, pour son ouvre Le Petit Prince/Storyville Portraits. Une sculpture de Daudelin, Appel 1, composée d’une multitude de têtes largement fendues à ne plus être que bouches ouvertes, lance un clin d’oil entendu au thème de l’exposition.
Les propos du commissaire de cette exposition, jouxtés aux ouvres évocatrices qu’il a choisies, arrivent aisément à susciter la réflexion sur l’expression et sur le discours du créateur. Les Bouches ouvertes marient ludisme et profondeur du discours avec beaucoup de subtilité. Une visite à mettre à votre agenda estival.
Jusqu’au 15 août
À la Maison Hamel-Bruneau
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