Mémoire objective, mémoire collective : Double vision
Plus qu’une simple chronique visuelle du mouvement automatiste, le travail de MAURICE PERRON constitue une ouvre photographique à part entière. Le Musée du Québec le prouve avec sa rétrospective de l’artiste. En prime, une exposition consacrée au peintre JEAN DALLAIRE.
Au Musée du Québec, avec Mémoire objective, mémoire collective, le spectateur a droit (comme le titre le laisse entendre) a une double exposition.
En un premier temps, les cent photos de Maurice Perron, qui y sont présentées, peuvent être perçues comme des documents historiques d’une grande importance. Artiste qui fut un des 16 cosignataires de Refus global en 1948 (c’est même lui qui en a assuré l’édition), il a croqué sur le vif (et parfois aussi dans des poses savamment orchestrées et volontairement naturelles) la vie de groupe des Automatistes. Les liens privilégiés qu’il a noués avec ses membres lui ont permis de réaliser des portraits intimistes et bien sympathiques. À vous rendre presque nostalgique de leur aventure artistique et intellectuelle. Certains clichés donnent un sentiment de proximité avec les artistes, comme, par exemple, ces merveilleuses épreuves de Pierre Gauvreau en 1949; de Magdeleine Arbour en train de lire (et prête à savourer une Cherry Blossom); d’un Riopelle rayonnant de 1947; et d’un souriant Borduas (dans son atelier à Saint-Hilaire), comme il a été rarement représenté. Dans ces images on sent, chez ces amis, un certain bonheur de vivre tout comme une conscience du sérieux et de l’importance de leurs activités artistiques. Des prises de vue lors d’expositions (comme celle de Mousseau et Riopelle,chez Muriel Guilbault) offrent maintenant de précieux renseignements à l’historien d’art sur l’accrochage des différentes toiles.
Cependant, le travail de Perron n’est pas seulement une simple chronique visuelle de cette époque. Il constitue une ouvre photographique à part entière. Refusant de se faire appeler le «photographe des Automatistes», Perron ne voulait pas devenir le portraitiste officiel du groupe. Certaines des images exposées sont époustouflantes. Parmi celles-ci notons: Françoise Sullivan en répétition pour Black and Tan ; le superbe Portrait de Pierre Gauvreau derrière une cage à oiseaux; et les autoportraits avec des miroirs et des réflexions. Ces derniers retiennent totalement l’attention; en particulier celui où la tête de Perron semble remplacée par l’éclat de lumière d’une ampoule électrique! Le spectateur pourra aussi remarquer les doubles expositions de photographies qui sont étonnamment belles. Elles donnent l’impression d’un travail brut tout en créant des effets fantomatiques.
Notons que la présentation générale de cette expo, certes soignée et épurée, n’est pas très originale, malgré parfois les regroupements intéressants et même asymétriques pour la série Danse dans la neige et Françoise Sullivan courant dans la neige. La commissaire de l’expo, Nathalie Blois, aurait pu donner une organisation visuelle un peu plus échevelée à l’ensemble (en utilisant, par exemple, des grilles métalliques et des tissus rêches comme ceux présents dans certaines épreuves). Pour compléter l’aspect documentaire, elle aurait même pu inclure des ouvres des différents artistes représentés ou même des coupures de journaux montrant l’image que ceux-ci avaient à cette époque (ou par la suite) auprès du public.
Cette expo de ce photographe, mort en février à l’âge de soixante-quatorze ans, est à voir juste pour le plaisir et l’énergie créatrice qu’elle dégage. On adore.
Jusqu’au 26 septembre
Au Musée du Québec
Entre cubisme et surréalisme
La rétrospective Jean Dallaire (mort en 1965), également au Musée du Québec, révèle une ouvre un peu inégale.
Les cent vingt-huit tableaux et dessins, présentés par la commissaire Michèle Grandbois, montrent le parcours d’un peintre qui a amorcé sa carrière (comme beaucoup d’artistes québécois) comme peintre de scènes religieuses, et qui, par la suite, fut un peu trop à la remorque du cubisme et surtout du surréalisme. Ici on reconnaît Dali, là Miro, Ernst… Néanmoins, certaines toiles réservent des surprises et dépassent l’esprit des styles et des maîtres qui ont inspiré Dallaire. Les deux autoportraits de jeunesse (1938) sont exceptionnels, tout comme le Jeune breton, et le Portrait de jeune homme. La série de murales, réalisée pour l’École des beaux-arts de Québec en 1947, est tout à fait surprenante. Elle évoque la tapisserie et son aspect très tactile. L’ouvre Les Punaises de sacristie, mettant en scène ces dévotes aux chignons serrés qui hantent les églises tout habillées de noir, est bien drôle. Les défroqués et Deux moines dans la caisse du procureur de la communauté se veulent aussi une amusante satire des travers du catholicisme.
Malgré les limites de cette ouvre, il s’agit d’une rétrospective intéressante. Il est essentiel que les musées québécois présentent des événements de cet ordre qui permettent une meilleure connaissance de notre histoire culturelle. Cette exposition viendra au Musée des beaux-arts de Montréal en mars 2000.
Jusqu’au 29 août
Au Musée du Québec