Rétrospective Raymond Gervais : La musique du silence
Au Musée de Joliette, la rétrospective RAYMOND GERVAIS nous offre encore une vision très épurée, cérémoniale et presque mortuaire de la musique. Dépaysant.
Voilà une expo ordonnée avec grand soin et minutie. On pourrait même dire qu’elle est réglée comme du papier à musique. En utilisant cette expression au pied de la lettre, puisque cette rétrospective du travail de Raymond Gervais traite du phénomène musical et se compose uniquement de noir et de blanc, comme des notes sur une portée. Le rigoureux et cérémonieux frac des musiciens en concert n’est pas, non plus, très loin. L’espace du musée apparaît alors comme une partition à lire avec respect (décor oblige) par le spectateur-interprète. Avec la quinzaine de pièces exposées (produites entre 1987 et 1999) et regroupées sous le titre Le Regard musicien, Gervais nous invite à poursuivre (dans le silence presque total) sa réflexion sur le pouvoir d’évocation de la musique.
On se rappellera ses sept ouvres-hommages à des musiciens et à des écrivains disparus, exhibées à la Galerie Rochefort au printemps 1998. Plus récemment, l’automne dernier, Gervais a participé à l’événement Regards croisés au Centre d’exposition de l’Université de Montréal. Il y a exposé La Réunion, une pièce mettant en relation un disque 33 tours de gospel de Mahalia Jackson, un moulage de la main de Chopin (de sa propre collection), ainsi qu’un tambour sacré tapou et une trompe du Gabon (de la collection de l’université). La musique y était présentée dans un rapport à l’ancien et au caduc.
À Joliette, Gervais nous offre encore une vision très épurée, cérémoniale et presque mortuaire de la musique. Il s’agit d’une ouvre un peu trop hantée par la mort. Certes, avec l’artiste, on se doit de reconnaître que «les morts sont bien vivants d’une certaine manière» et qu’«ils nous parlent encore, nous touchent, nous bousculent, nous remettent en question». La technologie des enregistrements audio et vidéo et, avant, l’invention du papier et de l’imprimerie ont permis aux êtres de se faire entendre même après leur mort.
Cependant, on a le sentiment d’une expérience esthétique se limitant trop à une fascination pour la disparition. On se croirait presque revenu au XVIIIe siècle où l’on aimait les sculptures, fresques et poteries survivantes de l’Antiquité, plus comme évocation des autres ouvres à jamais disparues que pour elles-mêmes. La nostalgie est ici de mise. Techniques désuètes (phonographe, tourne-disque…), artistes décédés et photos anciennes nous disent un monde disparu. Heureusement, Gervais offre aussi une lecture un peu plus agréable de tout cela et indique comment, pour lui, la musique est liée à de multiples souvenirs d’enfance.
Ces pièces orchestrent une forte cohérence en étant montrées ensemble. Seules, certaines pourraient sembler un peu simples. Le buste en plâtre de Richard Wagner tournant sur le plateau d’un tourne-disque et se reflétant dans un miroir, même s’il a un côté iconoclaste, n’en reste pas moins un monument, avec le visage et l’identité du créateur très présents. C’est loin de la transposition poétique et libre (et en dialogue avec la création de son ami poète) du monument de Picasso pour Apollinaire, constitué d’un buste ne représentant pas du tout les traits de l’écrivain.
Malgré tout cela, il s’agit d’une expo bien intéressante. On remarquera en particulier Vent: une série de boîtiers de disques compacts, alignés sur le mur, portent chacun en couverture le nom d’un vent: Aspre (brise chaude dans le Sud de la France), Criador (vent d’ouest porteur de pluie dans le Nord de l’Espagne), Sonora (vent chaud du désert en Arizona), Wabun (vent d’est, «celui qui apporte le matin» chez les Algonquins), Elvegast, Oroshi, Simoun… On se surprend à imaginer la sonorité de ces airs déployés sur ces terres des quatre coins du monde.
C’est d’ailleurs une des caractéristiques de cette expo. Elle nous oblige continuellement à nous rappeler ou bien à inventer des sons… Claude Debussy regarde l’Amérique, avec ses petites figurines de joueurs de base-ball et sa statue de la Liberté, nous fait entendre toute la construction sonore de ce jeu, et l’hymne américain qui en ouvre les activités… Étrangement, le spectateur s’imagine presque en train d’écouter un match à la radio.
Une autre des grandes forces de cette expo est qu’à travers la musique, elle parle d’espace: Debussy l’Européen rencontre l’Amérique ou joue au cerf-volant, le cône du haut-parleur d’un vieux phonographe devient tornade… Dépaysant comme un film muet.
Jusqu’au 22 août
Au Musée d’art de Joliette
Expérience esthétique
Philippe Boissonnet présente à la maison de la culture Frontenac une installation holographique interactive intitulée In-Between. Trois grands hologrammes qui ne sont éclairés que si l’on s’approche (des détecteurs à ultrasons en contrôlent le mécanisme) remettent en question l’expérience esthétique en solitaire. Le problème est que ce n’est pas le panneau près de soi qui s’illumine mais bien celui à droite ou à gauche et qu’on ne peut voir… Il faut donc être plusieurs pour vraiment profiter de l’expérience. À ne pas voir seul. Amusant.
Jusqu’au 21 août
Maison de la culture Frontenac
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