Le Symposium de Baie-Saint-Paul offre un espace de création unique aux artistes et l’opportunité pour le public de les rencontrer et de les voir travailler; sans parler des conférences-rencontres et d’un colloque permettant de réfléchir sur les questions actuelles posées à la peinture. Cette année, c’est sous le thème de la peinture mètis (avec l’accent grave) que le directeur artistique de l’événement, Bernard Paquet, nous propose d’aborder la peinture. Si le mot mètis renvoie d’abord à métissage, il faut toutefois préciser que la mètis était définie chez les Grecs comme un type d’intelligence privilégiant les chemins courbes, les hésitations, les volte-face plutôt que la ligne droite, le calcul et la recherche rationnelle. Ainsi la notion de mètis pouvait s’appliquer à l’art où «il est permis, comme le souligne Bernard Paquet, de dire 1 + 1 = 3». Une notion toute désignée pour alimenter la réflexion sur l’oeuvre «en train de se faire». Des considérations quasi imposées par la formule du Symposium où le public est invité à s’intéresser autant, sinon davantage, à l’oeuvre en cours de réalisation qu’au résultat final.
La force de cette 18e édition réside sans doute dans la diversité des approches réunies. C’est ainsi que l’on qualifie souvent (trop souvent?) les pratiques contemporaines de la peinture. Il serait difficile d’en être autrement ici. Les différences, parfois même les oppositions, apparaissent plutôt prometteuses d’échanges fructueux… En effet, loin de se faire ombrage, la variété et la qualité des approches éclairent chaque proposition. C’est le cas des artistes invités: le New-Yorkais d’origine chinoise Che Chuang, la peintre montréalaise Françoise Sullivan et le Torontois Jim Tiley. Trois artistes aguerris pratiquant la peinture depuis plusieurs décennies, dont on présente les oeuvres dans une très belle exposition au Centre d’exposition de Baie-Saint-Paul, situé tout près de l’aréna. La réunion des tableaux aux surfaces mouvantes de Françoise Sullivan, de la peinture minimaliste de Jim Tiley et de celle plus gestuelle de Che Chuang, inspirée du procédé calligraphique chinois, en révèle les différentes nuances. Mais ce sont leurs affinités qui refont surface lorsqu’on envisage les pratiques des artistes participant au Symposium.
Non seulement il y est davantage question de figures et d’images, mais plus que jamais la peinture prend le large. «Le minimalisme des tableaux de Jim Tiley contraste avec l’imagerie du Tunisien Abderrazak Sahli», renchérit Bernard Paquet pour démontrer la «diversité» de la sélection. Mais il y a plus: la présence de la photographe française Sandrine Mahieu-Georges et la participation de deux artistes travaillant avec l’infographie marquent une ouverture du Symposium, entamée depuis quelques années déjà, aux nouvelles technologies. François Lemay réalise des personnages génériques totalement numériques et Sébastien Dion a troqué l’acrylique pour l’application painter. Ce dernier parvient à des propositions d’une richesse picturale étonnante. On retrouve également, dans cette 18e édition, des artistes travaillant sur la matière, c’est le cas de Yechel Gagnon, qui grave des panneaux de plywood pour en faire voir les variations de couleurs et de textures. Le Français Anicet Boka, originaire de Côte d’Ivoire, propose, quant à lui, des collages de papiers, de fils et de pigments, qui visent «à remettre en cause ce qu’on définit comme étant la peinture», dixit l’artiste. Quant à Suzanne Gauthier de la Nouvelle-Écosse, elle assemble des tissus industriels dont les formes seront inspirées des environs de Baie-Saint-Paul. Il faut aussi s’attarder au travail de la Martiniquaise Valérie John, dont les recherches sur le tissage de papier s’inspirent de la structure du bagne africain.
D’autres peintres revisitent des techniques plus traditionnelles. On dit bien «revisiter», puisque si Fred Laforge peint des images d’origines religieuse et sexuelle et d’autres illustrations provocantes dans une facture presque classique et léchée – «pour séduire», comme il le dit lui-même -, il le fait avec du goudron et du sang de porc. C’est aussi une peinture s’intéressant au corps que propose le peintre d’origine française Alexis Robert, qui veut lancer un défi aux images technologiques en proposant une peinture «aussi précise que les pixels» inspirée d’illustrations anatomiques. Quant à la Montréalaise Sofie Fékété, elle dessine et peint ses tableaux découpés dans l’espace d’après des modèles vivants. Les recherches fort intéressantes du Canadien Scott Macleod, sur ses origines écossaises et sur les trajets empruntés par les Vikings en Amérique du Nord, constituent la source d’une peinture historique et engagée. Enfin, de la contemplation précédant le geste lent d’un Che Chuang à l’iconographie provocante d’un Fred Laforge, en passant par les repentirs virtuels de Sébastien Dion, on est forcé de reconnaître que les chemins menant à l’oeuvre sont innombrables et, heureusement, imprévisibles.
Le colloque
Un des moments à ne pas manquer du Symposium sera sans doute le passage d’Edmond Couchot, plasticien et professeur à l’Université de Paris VIII et auteur de l’essai La Technologie dans l’art. De la photographie à l’image virtuelle, paru en 1998. Pendant les deux après-midi du colloque, on pourra également entendre René Passeron, Jocelyne Alloucherie et Derrick de Kerkhove. Les 24 et 25 août prochains.
Jusqu’au 4 septembre
À Baie-Saint-Paul
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