Compulsions : Dépendance artistique
Le phénomène de la compulsion est le sujet d’une exposition à la Galerie Liane et Danny Taran du Centre des arts Saidye Bronfman. Dix artistes (de Montréal, Toronto et New York) se sont penchés sur cette pulsion effrénée à accomplir des actes tantôt destructeurs, mais aussi parfois bizarrement créateurs.
Dans le roman Chocolat chaud, l’écrivain Rachid O. raconte comment, durant son enfance, d’une manière compulsive, il ne pouvait s’empêcher de rejouer continuellement (devant un miroir) la scène d’accouchement qui avait coûté la vie à sa mère. Ce phénomène étrange de la compulsion, qui, en apparence, plonge les individus qui en souffrent dans des comportements maladifs, est le sujet d’une exposition à la Galerie Liane et Danny Taran du Centre des arts Saidye Bronfman. Le commissaire John Massier a réuni dix artistes (de Montréal, Toronto et New York) qui se sont penchés sur cette pulsion effrénée à accomplir des actes tantôt destructeurs, mais parfois bizarrement créateurs. Ces artistes n’ont certes pas tous réussi à rendre compte d’une manière égale de ce dispositif répétitif; cependant, plusieurs parmi eux ont produit des ouvres extrêmement fascinantes. Cela va de l’évocation de gestes finalement assez communs à des mécanismes plus énigmatiques.
Notons le très intéressant travail de Kevin Ei-Ichi deForest qui, avec Prosthetic Series – Come, continue à produire des surfaces irrégulières qui semblent grouiller mystérieusement de l’intérieur comme un ventre ondulant (juste avant que le monstre Alien en jaillisse?). Recouverte de colle chaude qui ressemble à du sperme, la surface maculée nous dit le plaisir comme une étrange répétition. À voir ce tableau, les splashings et autres taches de Jackson Pollock (obtenues par toute une suite de petits mouvements saccadés du poignet) prennent un autre sens. La fascination de deForest pour la giclée se poursuit avec une encre représentant des boyaux qui laissent échapper un liquide avec maintes éclaboussures. Le tout est recouvert d’un plastique qui n’est pas sans faire penser à l’emballage serré des condoms_
La Moderne de Patrick Coutu est une fabuleuse construction, basse de plafond, qui tient de la cabane accrochée dans un arbre pour amuser les enfants. L’intérieur, que l’on peut entrevoir seulement par deux fenêtres, révèle divers dessins placés sur les murs et surtout un objet qui évoque un spoutnik ou une sonde spatiale. Il s’agit d’un monde fermé sur lui-même, dans lequel on peut rejouer les mêmes histoires et les mêmes obsessions qui permettront peut-être de réaliser de grands rêves. Cette cabane placée sur des montants de bois ressemble à un artefact historique. On nous dirait que c’est là que l’ingénieur Von Braun a inventé, tout enfant et adolescent, ses missiles et autres fusées, qu’on le croirait. L’extérieur de cet atelier, formé de toute une série de panneaux (trouvés?), nous parle d’un désir prêt à tout récupérer pour se donner une forme matérielle. Très fort.
Marie-Claude Pratt, avec ses Portraits de société, a composé une série de caricatures. On peut y voir un pimp, un client, ainsi que la police représentés de la même manière_ Des images pas très flatteuses et des graffitis de politiciens, des Hell’s Angels et de la Mafia se côtoient. Chaque tableautin est digne d’un gros mot. Cela fait penser aux enfants qui, ayant appris des expressions vulgaires, ne cessent de les répéter. Très amusant.
On aimera beaucoup aussi, de Kevin Rodgers, le papier peint aux motifs très années 70 et taché d’émail, de latex et de marques de stylo-feutre. On y ressent le même malaise que lorsque l’on entre dans l’appartement d’une personne un peu âgée, ayant la phobie du vide et qui ne laisse aucun espace libre allant jusqu’à recouvrir tous ses murs de papier décoratif (et même son canapé avec du plastique) pour que cela fasse propre. Cette obsession décorative se retourne sur elle-même pour devenir comme une maladie de peau qui lentement envahirait l’espace. En occupant un coin de mur, ce papier, qui pourrait facilement faire tableau, arrive à déjouer la frontalité coutumière avec laquelle on appréhende une peinture. Son motif géométrique rappelle une musique sérielle se répétant à l’infini.
Une expo à voir, plusieurs fois, bien sûr
Jusqu’au 29 août
Galerie Liane et Danny Taran
Centre des arts Saidye Bronfman
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Maîtres anciens à Toronto
Au Musée des beaux-arts de l’Ontario, en attendant (avec impatience) la rétrospective Cindy Sherman qui va débuter le 1er octobre, on peut voir l’exposition The Old Masters. Une vingtaine de peintures de la Renaissance et de style baroque en provenance du Musée du Capitole à Rome (actuellement en cours de rénovation) y sont présentées. Tous les tableaux anciens sont pas des chefs-d’ouvre. Néanmoins, le spectateur pourra y contempler un superbe portrait de Velazquez où la peinture est utilisée avec une grande liberté, et l’exceptionnel Saint Jean-Baptiste du Caravage (qui est peut-être en fait une représentation d’Isaac) dépeint avec un bélier qui semble vouloir lui lécher le visage. L’imaginaire du travail du photographe Evergon avec ses ramboys n’est pas très loin
Jusqu’au 12 septembre
Art Gallery of Ontario à Toronto