Stéphane Gilot / Cynthia Girard : Lieux de passage
Arts visuels

Stéphane Gilot / Cynthia Girard : Lieux de passage

La Galerie Lilian Rodriguez accueille la plus récente intervention architecturale de STÉPHANE GILOT. De son côté, à la Galerie Montréal Télégraphe, CYNTHIA GIRARD propose une introspection dans l’univers fantasmatique d’une jeune femme. Amusant et intelligent.

La Galerie Lilian Rodriguez est, ces jours-ci, méconnaissable. Lorsqu’on y entre, pendant un moment on croirait presque s’être trompé de building. On était pourtant prévenu: la galerie accueille la plus récente intervention architecturale de Stéphane Gilot, l’artiste-bâtisseur qui, avec ses ouvrages, a déjà transformé les centres d’artistes Dare-dare et Skol. La galerie d’art n’est pas le lieu où expose Gilot, mais l’espace qu’il exhibe. Il la réorganise, lui ajoute ici des colonnes, là des murs. Comme le note Sylvie Janelle, dans son intéressant texte de présentation, Gilot \«subvertit le rôle habituel de la galerie dans sa mission de monstration» et dans «ses activités commerciales».

Au premier coup d’oeil, le spectateur – habitué à ce que l’oeuvre d’art soit un objet – risque de trouver qu’il n’y pas grand-chose à voir. Qu’il prenne son temps. Le travail de cet artiste est un intelligent jeu sur la perception de l’espace.

On remarquera qu’à l’exception d’une minuscule fenêtre, la petite salle de la galerie a été murée. Elle n’a cependant pas complètement disparu, puisque Gilot l’a rebâtie, comme en miroir, dans la grande salle, la présentant ainsi comme le sujet central de l’expo. Il s’agit d’un retournement spectaculaire. Fréquemment, dans les galeries, c’est souvent le plus grand des espaces (et l’artiste qui y est exposé) qui vole la vedette. On remarquera que l’ouverture dans le mur fait penser à la meurtrière d’une forteresse. Le milieu de l’art devient alors presque un lieu de combat, une lutte pour le pouvoir symbolique. L’avant-garde avec son imaginaire militaire en fut, longtemps, le signe le plus concret.

Mais cette intervention dépasse le simple jeu plastique ou la réflexion sur l’espace d’exposition (ce qui serait déjà suffisant).

Cette construction a un aspect plus angoissant. Par son titre (Enlèvement) et par l’atmosphère choisie (l’éclairage au néon), elle évoque une prison ou, pire encore, une séquestration. La fenêtre de la petite salle devient un judas, permettant d’épier. Finalement, c’est presque effrayant. À voir absolument.

Jusqu’au 18 septembre
Galerie Lilian Rodriguez

L’homme est une muse comme les autres
Le nom de Cynthia Girard ne vous dit rien? Alors, courez voir son exposition à la Galerie Montréal Télégraphe. Cette peintre sait associer un grand sens de l’humour à une recherche formelle novatrice. De retour d’un séjour à Londres (au Goldsmiths College), l’artiste poursuit un travail qu’on avait déjà pu remarquer dans quelques expositions collectives auxquelles elle avait participé (entre autres à la galerie Verticale en 97).

Avec cette installation picturale, l’artiste nous propose, rien de moins qu’une introspection dans l’univers fantasmatique d’une jeune femme. À moins que cela soit un peu plus corrosif, et qu’il s’agisse d’une déconstruction de la masculinité. Quoi qu’il en soit, dans cette expo, on a droit à une série de représentations symboliques de l’homme. Le point de départ de cette rêverie phallique est le numéro de téléphone laissé, dans un bar, par un individu nommé Clyde. Cela donne lieu à une fiction picturale qui évoque les surréalistes et même un peu l’esprit dadaïste. Toute une série de tableaux composent ce monde onirique: cela va de la grande à la petite baguette (de pain), des chiens saucisses aux moustaches, en passant par la peau d’ours (poilu) et même jusqu’à la représentation (en coupe) intitulée «petit appareil génital masculin» (la taille de ce dernier se référant au format du tableau).

On assiste à un intéressant renversement des rôles féminin/masculin. L’homme y devient presque objet. Avec, en prime, le soupçon de condescendance que présuppose une telle situation. Comme une chaussure à talon, le mocassin d’homme, devient objet de désir et se transforme en un «petit soulier directeur». La série des trois grands formats intitulés Abstraction queen size (on peut toujours espérer que dans les lits les rêves prennent corps!) est fabuleuse. Ils sont réalisés à partir d’une petite gouache déformée grâce à un logiciel d’ordinateur. Une série de confettis de couleurs se contorsionnent, creusent l’espace ou le gonflent. Ici, on voit une invagination (ou l’évocation d’un anus?); là, un pli de fesses et encore un sexe masculin. L’abstraction devient lieu de fantasme. Amusant et intelligent à la fois.

Jusqu’au 25 septembre
Galerie Montréal Télégraphe

Grandeur picturale
Dans l’espace 502 de l’édificice Belgo, l’artiste Luc Bergeron expose ses plus récentes peintures. Après quelques années, il revient à une certaine forme de figuration, et le résultat est plus que satisfaisant.

Sa peinture exprime une certaine grandeur sans tomber dans la grandiloquence. On y voit de grands espaces, comme dans diptyque Luz de luna où le bleu du ciel et le gris-noir de la nuit (ou d’une grotte) construisent des effets lumineux spectaculaires. À voir.
Jusqu’au 25 septembre. Édifice Belgo, Espace 502

Et aussi…
On surveillera l’exposition Le Monde selon Sandrine constituée des aquarelles de Sandrine Leduc qui se spécialise dans l’illustration de livres pour enfants. Jusqu’au 13 septembre (au 1040, rue Marie-Anne Est. On s’informe au 847-9144.