Dans le cadre du Mois de la photo, notre journaliste a fait la tournée des expositions et en a retenu quelques-unes qui explorent avec force la réalité sociale.
Le Mois de la photo, cru 99, est une bien bonne année. Tout d’abord, on se doit de féliciter les organisateurs pour le choix du thème central. Le Souci du document pose judicieusement l’actualité du médium photographique. La photo depuis une vingtaine d’années a pris trop souvent des allures esthétisantes. Dans les expositions, qui se tiennent au Marché Bonsecours, elle retrouve une visée politique et sociale forte. Sans pour autant tomber dans l’illustration bon chic bon genre de beaux principes sociaux, ou dans la moralisation et la culpabilisation à outrance. Ici et là, on voit l’intérêt des artistes à rendre compte du quotidien et de la vie ordinaire, sans «héroïsation» et sans grandiloquence. À voir ces images, on réalise comment l’esprit intimiste des clichés de Nan Goldin (malheureusement, absente de cet événement) a marqué la photo depuis vingt ans.
On aime beaucoup les artistes sélectionnés par Marie-Josée Jean pour le volet de l’expo intitulé Habiter le présent. Le titre est d’une grande pertinence et semble répondre à des questions que parfois on se pose. À quoi bon la production presque massive de photos et d’oeuvres d’art? S’agit-il de tout simplement rajouter des images et des objets dans les collections des musées?
Pour la jeune Française Mireille Loup, l’art doit avoir un but plus concret.
Son travail, elle le voit complètement politique , mais «dans un sens large, pas nécessairement dans un esprit gauche-droite. J’essaie de faire une intervention à mon niveau de pouvoir».
À travers des photos «pauvres, pas retravaillées, je mets en place un travail non esthétisant qui est de l’ordre du sociologique». Ses clichés sont d’ailleurs réalisés avec des amis qui lui servent de modèles et qui parfois l’appellent pour lui dire: «Mireille, j’ai pas trop le moral, on fait des photos? Ça me ferait du bien_» En captant sur pellicule des gens fatigués (lors de la grève des routiers, en France, en 96), elle s’attaque aux poses maniérées conventionnelles que l’on prend devant la caméra. Le sujet de la fatigue devient comme un moyen de «redonner une authenticité au médium photo et un côté humain aux gens représentés». Très pertinent.
On appréciera aussi beaucoup l’intervention du jeune artiste suédois Pelle Kronestedt qui s’interroge sur la situation des sans-emploi. Voulant redonner un visage aux statistiques, il est allé, dans 15 pays européens, rencontré des personnes qui correspondaient au chômeur moyen. Cela donne une présentation de la vie de jeunes (et aussi de moins jeunes) extrêmement touchante. Sans faire dans le misérabilisme. En fait, les couleurs et le montage de toute une série de petites images rendent l’ensemble, paradoxalement, très riche (visuellement), très beau sans être joli.
La vidéo intitulée The Buzzclub, de Rineke Dijkstra, est tout simplement fabuleuse. Il s’agit aussi d’un portrait collectif de jeunes qui, dans ce cas-ci, s’amusent dans une discothèque à Londres. L’artiste les a laissés libres de faire ce qu’ils voulaient devant l’objectif. D’allure photographique (la caméra et les modèles ne bougent presque pas), ce document est passionnant et souvent amusant. On a le sentiment que ces jeunes sont, pour la plupart, dans l’attente (celle de la drague, de l’amour, de ce que la vie réserve?).
Le spectateur sera certainement moins impressionné par l’installation de Seamus Farrell: la profusion d’images, même si elle nous parle du phénomène chaotique et presque incompréhensible de la violence qui se déchaîne durant les guerres, n’en reste pas moins un peu brouillonne. Dommage, car l’idée de départ est intelligente.
L’expo L’Évocation mise en place par le commissaire Pierre Blache est, elle aussi, de grande qualité: on y retrouve des images impressionnantes réalisées par Ed Burtynsky, Mark Ruwedel, Jorma Puranen_ On retiendra en particulier les pièces extraordinaires d’Alain Paiement. Leur simplicité visuelle est le signe d’une création extrêmement maîtrisée et d’une grande probité esthétique. L’une de ces images nous montre un squat dans un bâtiment (l’édifice qui abritait les Presses socialistes, à Bruxelles) dont on voit la façade presque en ruine dans deux autres clichés. Paiement signe ici de très importantes photos qui portent un regard sévère sur la manière avec laquelle on a conservé les idéaux de gauche. Troublant.
Jusqu’au 17 octobre
Au Marché Bonsecours
Aux frontières du possible
Geoffrey James est l’une des figures importantes de la photo contemporaine. Un des rares artistes canadiens à avoir participé à la prestigieuse Documenta, à Kassel. Le spectateur montréalais a déjà eu à quelques reprises le bonheur d’admirer son travail (en autres lors de l’exposition sur les parcs créée par F. L. Olmsted au Centre canadien d’architecture, en 97). On peut voir ces jours-ci trente-deux photos en noir et blanc qu’il a réalisées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Depuis quelques années, des représentants républicains ont eu l’étrange idée de clôturer une partie de cette frontière pour empêcher l’immigration illégale. Intitulée Running Fence, cette série se veut, de par son titre, une sorte de regard ironique sur le travail de l’artiste Christo qui, en 1976, avait dressé un mur de tissu dans un comté de la Californie.
James ne fait pas dans le spectaculaire, dans le sensationnalisme ou dans le mauvais goût. Tout au plus, dans quelques image, peut- on voir la trace de Mexicains se risquant au passage interdit. Le format lui aussi tente de ne pas surdramatiser la situation. «Beaucoup d’artistes utilisent la transgression pour attirer le spectateur. D’autres se servent du grand format pour créer un effet. Mais l’échelle monumentale a été bien souvent le signe de l’art académique. Quant à moi, j’essaie d’effectuer un témoignage clair». Et c’est justement ainsi que la photo retrouve sa plus grande force. Par la description presque factuelle et presque froide de la réalité, ses images valent bien plus que mille discours politiques.
Jusqu’au 3 octobre
Au Centre international d’art contemporain
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