De Namur à Paris: le XIXe siècle de Félicien Rops : Dessiner entre les lignes
Arts visuels

De Namur à Paris: le XIXe siècle de Félicien Rops : Dessiner entre les lignes

Étroitement liée à la littérature du XIXe siècle, l’ouvre de Félicien Rops reflète une époque tiraillée entre néo-classicisme et romantisme. Le Musée du Québec rend hommage à un artiste inclassable.

Ce que propose le Musée du Québec dès le 29 septembre, c’est une rencontre avec un dessinateur, caricaturiste de surcroît, qui a mis en images l’ouvre de Baudelaire, de Barbey d’Aurevilly et de Pélandan avec une justesse qui a marqué l’effervescence littéraire du XIXe siècle. Situé dans la queue de la comète du romantisme, le Belge Félicien Rops témoigne dans ses ouvres des grands mouvements d’un siècle, de la décadence au symbolisme, en passant par le réalisme. De plus, lorsqu’un historien de l’art veut discuter de l’ouvre de Félicien Rops, il se réfère nécessairement à sa correspondance, d’une érudition et d’une clarté incomparables.

Le conservateur de l’exposition, Didier Prioul, mûrit ce projet depuis trois ans déjà. Au départ, il n’était question que d’accueillir temporairement les collections du Musée Félicien-Rops, de Belgique, qui devait fermer pour rénovations. Or, la chose ne s’est pas concrétisée et, comme l’explique Prioul, «le projet a évolué vers une rétrospective de Rops avec pour source les collections du monde». Cette exposition sera la première sur l’artiste en Amérique du Nord. «Rops est un artiste qui appartient au littéraire», ajoute le conservateur. Il était donc tout à fait à propos de créer une exposition qui présenterait la vie littéraire et artistique d’un siècle. Dans l’exposition, le conservateur a décidé de présenter Rops en tant que dessinateur et ainsi de «reconstituer les étapes de création d’une ouvre fort riche». C’est une ligne directrice qui se justifie tout à fait, puisque Rops, s’il a privilégié le dessin, a aussi pratiqué la peinture.

Rops et son siècle
Félicien Rops naît en 1833 à Namur, en Belgique. Lors de son passage à l’Université libre de Bruxelles au début des années 1850, il noue des amitiés au sein de l’avant-garde artistique et littéraire de Belgique. De là, il devient dessinateur pour Le Crocodile, une publication conscientisée qui connut le succès au milieu des années 1850. Rops, grâce à l’héritage paternel, fonde ensuite son propre journal, l’Uylenspiegel (l’Espiègle), où il prend goût à la caricature politique.

Indépendant de fortune, l’artiste invite dans son château des personnalités du milieu littéraire, dont l’éditeur parisien Auguste Poulet-Malassis qui lui fera rencontrer Charles Baudelaire en 1864. La rencontre sera déterminante pour Rops. Baudelaire, dont les écrits tracent la voie d’une sensibilité moderne, affiche comme lui un dandysme ostentatoire et prône une liberté de mours qui sied au dessinateur. Rops illustrera Les Épaves, un recueil de poèmes de Baudelaire. Cette rencontre de l’image et du texte d’autrui ainsi que la transposition qu’elle demande du langage poétique à la symbolique des images propulseront Rops parmi les illustrateurs les plus prisés des écrivains.

Didier Prioul tient, dans l’exposition Rops, à mettre en lumière ces liens étroits entre le littéraire et l’ouvre du dessinateur. Lorsqu’on demande au passionné conservateur comment classer Rops – après tout, d’emblée ne le dit-on pas symboliste? -, il répond en discutant de ce siècle encore tiraillé entre néo-classicisme et romantisme, et relève les aléas de la datation de la gravure. «Souvent, commente-t-il, un historien a devant lui une gravure datée, par exemple, des années 1880: on la relie donc au symbolisme.» Le hic, explique-t-il, c’est que le dessin qui a servi d’assise à la gravure a été réalisé, dans bien des cas, plusieurs années auparavant… C’est ainsi que, pour analyser l’ouvre de Rops, il faut embrasser le siècle qui l’a vu naître et ne pas négliger les influences et les affections du dessinateur. Le conservateur conclut en précisant: «Rops est décadent, non pas symboliste.»

Pour rendre avec la plus grande clarté possible les motifs de cette ouvre, Didier Prioul a choisi une approche chronologique. Il n’est pas facile d’expliquer la charge érotique, parfois même pornographique, des ouvres de Rops. Didier Prioul parle «d’une perte du sacré et de la spiritualité d’une fin de siècle». Après tout, «il serait si facile de coller des images et des idées et ainsi faire dire n’importe quoi aux ouvres; ce n’est pas mon but, je veux que l’on sente qu’il y a eu quelqu’un derrière ça, un être vivant».

Ainsi, dans l’exposition, des extraits de la correspondance de Félicien Rops documenteront le parcours proposé au visiteur. Pour quiconque le veut bien, une telle rétrospective permet de saisir le passage d’un siècle à un autre, de sentir comment un esprit moderne s’impose à l’artiste et fléchit sa réflexion sur le processus de création.

Bloc-notes
Une prison dorée
La Maison Gomin (2026, boul. René-Lévesque) est un ancien pénitencier pour femmes construit en 1928-1929 et fermé depuis 1992. La Chambre blanche a invité les artistes Karen Pick, Murielle Dupuis-Larose, Michel St-Onge, Patrick Altman et Pierre Giner à intervenir sur les lieux. Même si cet étrange bâtiment désaffecté prend des allures de château de l’extérieur et de couvent à l’intérieur, les installations des artistes nous rappellent qu’il s’agissait bel et bien d’une prison. Leurs ouvres attirent notre attention sur les moindres détails qui ont marqué cet espace. On est alors en mesure d’apprécier les discrets graffitis «Kill and say goodbye», «Johanne 12-87», ou encore, les émouvantes traces de rouge à lèvres laissées sur les quatre murs d’une cellule par des prisonnières. Et il y a les ouvres des artistes en plus… À voir. Jusqu’au 3 octobre.

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La Galerie Rouje présente une série d’images de synthèse réalisées par François Lemay. Des nus féminins et des portraits créés de toutes pièces par ordinateur. Ces corps sont marqués d’incisions tantôt autour d’un sein, tantôt sur un bas ventre ou une joue. La présentation des images subdivisées puis épinglées sur les supports répond aux césures corporelles de ces personnages virtuels. Un travail personnel, alimenté par les paradoxes (désir/répulsion, sensualité/horreur). Jusqu’au 3 octobre.

Convergences éléments
Quelques mots sur l’exposition des photographies de Sylvie Readman chez Vu. Cette artiste est reconnue pour son travail et sa réflexion sur l’image photographique. Les paysages en noir et blanc qu’elle présente chez Vu sont volontairement un peu flous et peu contrastés. Certaines photographies rendent avec justesse l’esthétique des paysages de la campagne québécoise. Tout en subtilité. Jusqu’au 10 octobre.