Documents et Mensonges : Images de marque
Arts visuels

Documents et Mensonges : Images de marque

Le commissaire André Martin, à la Galerie Optica, présente des artistes anglais qui utilisent la notion de l’image photographique sans recourir à ce médium. Notre critique analyse les oeuvres de CORNELIA PARKER et de DOUGLAS  GORDON.

En parallèle avec le Mois de la photo, l’exposition Documents et Mensonges traite de «quelques notions inhérentes au photographique sans jamais avoir recours à ce médium». Comme quoi la notion de spécificité est de plus en plus impropre, les caractéristiques d’un moyen d’expression étant facilement transportables à un autre système de représentation.

Des réalisations des artistes anglais, présentées par le commissaire André Martin à la Galerie Optica, on retiendra surtout celles de Cornelia Parker et de Douglas Gordon, les plus remarquables.

On adore tout simplement les pièces de Parker (qui ont une belle parenté avec la démarche de la jeune Québécoise Raphaëlle de Groot). Voilà une artiste extraordinaire. En 97, elle a exposé, à Londres, suspendus à une série de fils, les restes carbonisés d’une église de bois qui fut foudroyée au Texas. Pour l’artiste, il s’agit presque d’un dessin au fusain (de charbon, bien sûr) représentant à la fois les émotions religieuses et l’intensité dramatique de l’orage.

Chez Optica, douze mouchoirs blancs maculés de salissures indéfinissables et fantomatiques sont encadrés sobrement sur un mur. Mais qu’est-ce donc? Quel mystère se cache dans ces taches; que recèlent donc de si singulier ces cotonnades? Au premier coup d’oeil, cela évoque ces images religieuses, apparues par on ne sait quel miracle, sur une pièce de tissu (comme, par exemple, sur le linge utilisé par sainte Véronique pour essuyer le visage du Christ). Et puis, en lisant les cartons de présentation, on s’aperçoit qu’en fait ces morceaux de tissu ont servi à l’artiste pour nettoyer la ternissure des métaux (d’argent ou de cuivre) de différents objets. Il semblerait que Parker ait astiqué diverses pièces comme le couteau de Charles Dickens, le sextant de Darwin, le bougeoir de Nelson. De tout ce frottage surgirent ces quelques souillures qui nous parlent du temps qui s’écoule et d’un désir de conserver une trace du passé. Ce travail oppose l’objet (presque) historique, ayant appartenu à un homme, et le travail éphémère de nettoyage et d’entretien effectué par une femme (en l’occurrence l’artiste). Le 14 octobre à 19 h, Parker donnera une conférence à l’Université Concordia (au Hall Building, salle 937). À ne pas rater.

Douglas Gordon nous parle, quant à lui, d’une expérience étrange et presque barbare. En 1905, un médecin français (le docteur Baurieux) entreprit de s’adresser à la tête fraîchement coupée d’un guillotiné. Pendant près de trente secondes, celle-ci sembla réagir à sa présence (on ne peut mourir en paix!). Déjà, durant la Révolution française, de telles constatations avaient pu être faites. Gordon rend compte de ce moment intense en ayant placé le texte racontant l’histoire du docteur Baurieux et du condamné Languille dans une salle éclairée durant seulement trente secondes. Temps du passage de la vie à la mort? Temps d’exposition bien court et totalement suffisant pour impressionner le spectateur. Quand la lumière s’éteint alors qu’on vient à peine de comprendre ce récit où la médecine rejoint les activités des tortionnaires, on ne perd pas la tête, mais elle nous tourne un peu…

Jusqu’au 16 octobre
Chez Optica

Passage initiatique
Le Centre canadien d’architecture nous a habitués à des présentations d’une grande qualité. On se souvient, par exemple, de La Pelouse en Amérique, en 1998. Il s’agissait sans nul doute d’une des meilleures expositions jamais réalisées au pays.

Certes, Bosses à quatre pattes, que le spectateur peut voir ces jours-ci au CCA, réalisée par la très importante agence Bosses design, n’a pas les mêmes prétentions intellectuelles ni la même envergure que les grands événements habituellement accueillis dans cette célèbre institution. Néanmoins, la déception est grande, d’autant que l’idée de base était prometteuse. Dans chacune des entrées des pièces de la Maison Shaughness, les concepteurs du projet ont voulu mettre en place une série de sas, de passages initiatiques. Constitués de différentes matières (béton, acier, bois, cuivre), ils devraient procurer une expérience inattendue: pour chaque matériau, le spectateur est invité à «écouter sa résonance» et à «capter sa luminosité». Ces structures auraient pu être comme une sacralisation du seuil et du passage entre l’extérieur et l’intérieur d’une maison.

Malheureusement, on dirait simplement une série de stands dans un Salon de la rénovation où l’on pourrait choisir le recouvrement préfabriqué de sa maison ou de sa cabane de jardin. Ce n’est pas un mal en soi, mais cela représente un décalage important par rapport à la manière dont est annoncé le projet. Cette expo ne casse pas trois pattes à un canard. Dommage.

Jusqu’au 7 novembre
Centre canadien d’architecture

Eau trouble
Jusqu’à samedi, à la Galerie Christiane Chassay, on peut voir la série d’images de Spa de Lynn Cohen. Ces photos d’une station thermale sont, au premier regard, à la limite de l’amusant mais se révèlent lentement inquiétantes. Comme le note Gaston St-Pierre dans son texte de présentation, le vide et l’aspect clinique de ces lieux leur donnent un aspect surnaturel. La froideur de ces espaces, presque digne d’un hôpital, se transforme, dans la vision de Cohen, en une pureté monacale (proche de celle des cisterciens). Mais ce qui est plus troublant, ce sont tous ces appareils et machines dont on ne saisit pas toujours la fonction et qui semblent bien loin du recueillement méditatif. Parfois le spectateur pourra s’imaginer devant des représentations de laboratoires pour humains kidnappés par des extraterrestres, ou encore en présence de salles d’attente pour voyages intergalactiques. On notera en particulier cette image montrant une pièce aux murs translucides avec un lit recouvert d’un tissu métallique brillant. Le décor des scènes finales de 2001: l’odyssée de l’espace n’est pas loin.

Jusqu’au 2 octobre
Galerie Christiane Chassay