David Hall / Gilbert Boyer / Bertien van Manen : Paysages choisis
David Hall expose en solo pour la seconde fois, en moins de deux ans, à la Galerie Lilian Rodriguez. Gilbert Boyer combat le culte du héros dans son exposition au Musée d’art contemporain.
C’est toujours avec plaisir que l’on suit l’évolution de la démarche créatrice de David Hall. On avait déjà beaucoup apprécié sa production présentée lors d’Artifice en 98 ou à la Galerie Clark en 97. Dans ses plus récents tableaux, Hall semble s’éloigner d’une peinture hantée par le néo-expressionnisme.
Son exposition s’intitule Série marine. Et au premier coup d’oeil, ses tableaux semblent être de simples et reposants paysages, de belles étendues d’espace. Et puis à y regarder de plus près, on s’aperçoit que plusieurs de ces images recèlent des scènes de guerre. Ici on peut voir, comme à vol d’oiseau, des soldats dans l’eau en train d’effectuer un débarquement; là des nuées blanches dans le ciel font penser à une fumée issue de missiles traceurs ou qui s’échapperait d’un avion en train de s’écraser après avoir été atteint par un obus. Parfois, certaines des pièces de Hall frôlent l’abstraction (comme le petit format intitulé Mare). Il obtient souvent des effets de couleurs vives qui vibrent. On apprécie aussi beaucoup la texture très présente dans chacune de ses oeuvres. La matière picturale, même lorsqu’elle est placée sur de la toile, semble devenir comme du bois raboté. Cela lui donne une grande présence physique; le sens du toucher étant ainsi autant convié que le sens de la vue.
Toutes les toiles de David Hall ne sont cependant pas aussi exceptionnelles. Par exemple, Plume, un tableau qui se trouve à l’entrée de la galerie, fait un peu trop penser à une peinture d’inspiration bande dessinée comme on en voyait si souvent dans les années 80. Malgré ce cas particulier, il faut reconnaître la grande qualité de l’ensemble de ce travail.
Jusqu’au 23 octobre
Galerie Lilian Rodriguez
Anti-héros
Il fut une époque, il n’y a pas si longtemps encore, où les artistes et les intellectuels traquaient et combattaient les idéologies dominantes porteuses de valeurs bourgeoises et conservatrices. Ce temps est-il tout à fait révolu?
Gilbert Boyer, dans son exposition au Musée d’art contemporain, semble vouloir s’inscrire dans cette tradition-là. Dans une attitude «anti-monument», il s’en prend à la notion d’héroïsme. Voilà une critique qui a son importance. Nos sociétés occidentales ont trop souvent valorisé la guerre à travers les monuments aux morts ou à travers des tableaux d’histoire qui représentent de forts et surtout de bien braves hommes s’étant sacrifiés pour leur nation (on pense, par exemple, à La Mort du général Wolfe de West, peint à la fin du dix-huitième siècle et que l’on peut voir au Musée des beaux-arts d’Ottawa). Les musées sont remplis de ce genre de peinture où la guerre a toujours une certaine beauté. L’oeuvre de Boyer s’oppose à ce type de représentation mensongère qui a servi d’instrument de propagande pour justifier toutes les campagnes militaires et pour inciter les jeunes gens à aller se battre. Bien loin de l’immortalité (symbolique) du héros, cet artiste s’intéresse à ce qui est de l’ordre du quotidien et de l’éphémère.
Tout dans son installation au MAC nous expose un monde fragile, sans certitude, toujours en reconstruction: les échafaudages dispersés dans toute la pièce évoquent un chantier; les plaques de marbre déposées ici et là, couvertes d’inscriptions poétiques ou de fragments de conversations, sont bien loin de la grandiloquence des citations solennelles (ou des dates de naissance et de mort) que l’on y inscrit habituellement; des ballons d’enfants, qui semblent avoir fui à notre approche, nous disent un monde où le bonheur de la vie l’emporte sur la lourdeur des tombeaux.
Les idées prévalant dans cet ensemble sont justes. Malheureusement, elles sont un peu trop simples et bien trop littérales. Déboulonner la statue du héros n’est pas si facile. Dommage. D’autant plus que Boyer a réalisé il y a quelques années, avec Mémoire ardente, un intelligent anti-monument poétique, de granit perforé, qui a été si bêtement accueilli par les médias.
Jusqu’au 7 novembre
Au Musée d’art contemporain
De l’image au texte
Le nouvel espace Mai, ouvert depuis le printemps dernier (rue Jeanne-Mance) et qui se dédie aux arts interculturels, propose une rétrospective originale de l’oeuvre de Bertien van Manen. Cette artiste néerlandaise a commencé sa carrière comme photographe de mode pour la poursuivre dans une approche plus documentaire, après avoir vu en 1976 des images de Robert Frank.
On appréciera l’installation inventive située dans la salle d’exposition et qui capte notre regard avant toute autre chose. Plusieurs projecteurs diffusent sur de grands écrans une bonne centaine de clichés tirés de l’oeuvre de cette artiste. Certes, cela fait penser un peu trop aux projections de diapositives en famille. De plus, on perd ainsi évidemment toutes les textures propres au médium photo. Mais c’est tout de même une très bonne idée. On délaisse la photo bien encadrée, bel objet commercial qui peut être vendu ou acheté, pour mettre l’accent sur le contenu de l’image. Des sièges, fauteuils et canapés, en abondance, éparpillés ici et là, donnent une atmosphère intime à l’ensemble. Une musique aux sonorités un peu trop nostalgiques complète cette ambiance chaleureuse. Cela change de l’asepsie habituelle, dans les galeries et les musées, qui ne convient pas nécessairement pas à toutes les oeuvres. On est loin d’une présentation qui n’exposerait que le médium photo dans sa pureté. On regrettera cependant que les projecteurs suspendus au plafond tremblent à chaque changement de diapo, ce qui fait bouger les images sur les écrans. Cela finit par donner mal au coeur.
Plusieurs des images de van Manen sont fascinantes. Ses séries réalisées avec des familles de mineurs au Kentucky sont très fortes (surtout celles en noir et blanc). Cependant, ses photos à l’aspect documentaire n’arrivent pas toutes à se détacher du caractère illustratif. De plus, on n’a pas toujours le sentiment d’entrer vraiment en contact avec les personnages ainsi décrits. Pourtant, tout dans l’exposition exprime une forme d’intimité avec les êtres représentés. Les panneaux explicatifs nous parlent de liens d’amitié que l’artiste a développés avec ses sujets. Pour éliminer toute barrière avec le monde qu’elle a photographié, elle a même été jusqu’à apprendre le russe pour sa série sur les Moscovites. La distance émotionnelle que le spectateur ressentira tient-elle au fait qu’il y a trop d’images à voir? Ce qui est sûr, c’est qu’on a souvent le sentiment qu’un texte explicatif (écrit ou audio) plus précis sur les individus présentés par van Manen aurait été nécessaire. Toutes les photos ne se suffisent pas à elle-mêmes, sans que cela soit un défaut pour autant. C’est seulement le signe que la spécificité du médium est en train de se désagréger.
Jusqu’au 24 octobre
À la Galerie du Mai