Rencontre avec Jorge Orta : Chercheur d’art
L’oeil de poisson et la commissaire ANDRÉE DAIGLE préparent la première édition de la Manifestation internationale d’art de Québec pour l’automne 2000. JORGE ORTA, un des 40 artistes invités, était de passage à Québec la semaine dernière. Un avant-goût plein de promesses…
On ne pouvait passer sous silence la visite de Jorge Orta dont le discours critique sur l’art s’avère toujours aussi percutant. Pourfendeur depuis 25 ans de la commercialisation de l’art, pionnier de l’«oeuvre gratuite», l’artiste argentin est reconnu pour ses immenses projections d’images, de couleurs et de signes polysémiques dont il élabore l’alphabet depuis les années 1970. Il a transformé en véritable peinture de lumière montagnes et bâtiments: de la cathédrale de Chartres au lieu sacré Aztèques Machu Picchu dans les Andes péruviennes; du volcan japonais Aso en passant par la Biennale de Venise. Aujourd’hui, il travaille au projet de la «Route du coeur» pour promouvoir les dons d’organes en France, où il vit depuis 1984, et défend toujours avec vigueur un art qui rallie éthique et esthétique. Des artistes, des artisans, des inconnus du monde entier et d’ici aussi, fabriquent des coeurs de différents matériaux (terre cuite, porcelaine, aluminium, etc.) Signes universels et familiers, ces objets sont exposés et voyagent dans des conteneurs où une documentation précieuse (vidéo, témoignages, photos) atteste leur fabrication.
En 1994, la projection spectaculaire de lumière sur le volcan Aso et sur ses nuages de soufre séduisait des millions de spectateurs japonais par sa diffusion télévisuelle. Comme Jorge Orta nous le confiait, «après le Japon, j’aurais pu dire: j’ai trouvé la recette magique! Maintenant que j’y suis arrivé, je n’ai plus qu’à en récolter les fruits, la renommée, et recommencer encore. Mais j’ai renoncé.» Depuis ce temps s’est articulé le projet de la Route du coeur où le travail individuel de l’artiste s’avère moins présent au profit de celui d’animateur et de catalyseur. Mais la réflexion de Jorge Orta va encore plus loin: «Je travaille sur la question de l’anonymat depuis vingt ans. J’ai étudié la disparition de l’artiste et de son ego. L’ego, c’est le côté faible de l’artiste. Je suis convaincu que c’est un handicap pour l’art. Il bloque l’activité généreuse.» Dans ce sens, son travail actuel de cocréation parvient peut-être plus que jamais non seulement à sortir l’art des lieux clos de diffusion habituelle comme il l’a toujours fait, mais aussi à honorer la maxime de Joseph Beuys, pour qui chaque homme est un artiste.
Cette attitude n’est pas sans conséquence: «Je remets en question tout le système de l’art, précise Orta, le produit fini, sa place dans le système, sa diffusion et le véritable rôle de l’objet et de l’artiste. Je mets toute mon énergie dans la recherche d’une forme d’art immatériel, parce que le processus est la véritable oeuvre. Bien sûr, il y aura toujours le risque que l’objet soit substitué au processus. On ne voit alors que sa dimension folklorique: un-beau-coeur-de-porcelaine-fabriqué-à-Limoges. C’est parce qu’on est attaché à la matière, aux objets et aux artistes.» Si, depuis le début des années 1980, Jorge Orta a consenti à ce que certaines parties de son oeuvre soient commercialisées, c’est pour faire «exister» la part de son travail qui sinon demeurerait invisible aux yeux du monde. Ce qui ne l’empêche pas (et lui permets?) de poursuivre une réflexion radicale et une oeuvre critique. Vous relevez des contradictions? Il les aura probablement déjà identifiées… Lors de son passage, on a pu apprécier le discours encore et toujours pertinent de cet artiste utopiste. On attend avec impatience de le voir à l’oeuvre dans la ville de Québec.
Bloc-notes
Curiosités
Il y a différentes façons d’envisager les objets. Celle que propose l’artiste torontoise Ginette Légaré à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval procède d’un détournement de leurs fonctions. Cuillères, tiges de métal, fourchettes et autres fragments de vinyles ou d’éponges sculptées sont assemblés puis classés de manière à se retourner littéralement sur eux-mêmes et à devenir on ne peut plus inutilisables. Cette artiste élabore un langage dont les signes, pourtant familiers, demeurent imprégnés d’étrangeté. Épuré et minimaliste. Jusqu’au 31 octobre.
Chez Estampe Plus
Si vous préférez un art utilisant des procédés et les supports plus conventionnels, les dessins de Jo Ann Lanneville et les peintures sur bois de Sylvain Groleau présentés à la galerie Estampe Plus sauront vous plaire. Le travail de la couleur, riche et mouvementé chez Jo Ann Lanneville, et celui plus méditatif de Sylvain Groleau réalisé à partir de pigments purs, bien que plutôt sages, ne sont pas sans intérêt. Jusqu’au 10 novembre.