Michel de Broin : Racine carrée
Pour MICHEL DE BROIN, l’abstraction a investi notre mémoire collective pour devenir le signe d’une menace. À travers la forme du carré, cet artiste a trouvé un prétexte pour nous convier à une petite histoire de la Modernité. Résumé de l’art du siècle.
Il y a quelques années, un théoricien a voulu démontrer comment la structure du visage de Mickey Mouse, avec son nez ovale et ses oreilles rondes, était une image archétype que l’on peut retrouver dans plusieurs sociétés. Même dans les jardins de Versailles, dans la forme des bassins de l’allée centrale, on retrouverait bizarrement les traits du célèbre personnage de Walt Disney!
Michel de Broin, avec sa dernière exposition à la Galerie Skol, tente lui aussi d’interroger un élément surprenant de notre imaginaire occidental. Il est parti d’une question assez amusante: comment se fait-il que ce soit le motif du carré blanc sur fond noir (très proche du célèbre tableau de Malevitch datant de 1915) qui soit devenu le symbole de signalisation routière pour interdire, sur certaines routes, le transport de matières dangereuses? L’abstraction aurait donc investi notre mémoire collective pour devenir le signe d’une menace. Voilà de quoi nous surprendre. Certes, à une certaine époque, ce type de peinture fut un cheval de bataille pour l’art moderne qui avait des résonances politiques. Mais depuis…
Michel de Broin a pris au pied de la lettre ce panneau signalétique mystérieux. Il a constitué une mise en scène assez drôle autour du grand péril que le carré représente. D’abord, il a placé sur le toit d’une voiture un immense cube pour ensuite prendre la route. Puis, il a inventé une arrestation fictive (documentée par une série de photos) pour transport illégal de formes abstraites dangereuses. À partir de là, cette expo nous montre le carré dans tous ses états.
L’une des grandes forces de cette présentation réside dans son pouvoir évocateur. En se basant sur le tableau de Malevitch, on se remémore tous les artistes qui ont fait du carré ou du cube l’un des éléments essentiels de leur oeuvre: des cubistes à Sol Lewitt, en passant Carl André, Tony Smith et Jean-Pierre Raynaud. Sur un mur, de Broin a d’ailleurs découpé, comme à son habitude, un morceau du revêtement de plâtre. Celui-ci laisse, telle une image fantôme, la trace d’une forme qui fait penser à Victory Boogie-Woogie de Mondrian. On rêve alors à une histoire du carré dans l’art (dans laquelle il faudrait aussi inclure l’utilisation de ce format du tableau).
C’est qu’à travers le carré, de Broin a trouvé un prétexte pour nous convier à une petite histoire de la modernité. Ses divers moyens d’expression s’y trouvent présents d’une manière ou d’une autre: photo, vidéo, performance, sculpture, peinture, installation in situ… Tous les médiums sont convoqués. Même les expériences ayant permis le renouvellement de l’art sont conviées. Par exemple, le voyage sur l’autoroute, qui transforma la vision que Tony Smith avait de l’art, s’énonce par une vidéo où défilent des lignes blanches sur l’asphalte. Le spectateur a ainsi droit à un résumé de l’art du siècle. C’est comme une célébration de sa liberté et de sa force expressive. Michel de Broin relève ici avec brio un défi de taille. Très fort. On adore.
Jusqu’au 7 novembre
Au Centre des arts actuels Skol
Dossier contemporain
La définition de la notion d’art contemporain travaille le milieu depuis quelques années. Anne Cauquelin a publié en 1992 un livre sur le sujet dans la collection Que sais-je. Catherine Millet (directrice de la revue Art Press) a énoncé ses réflexions sur le thème en 1997.
Signalons donc la parution du numéro 47 de la revue de l’art actuel Etc., consacré au contemporain. Cet intelligent dossier a été réalisé par le théoricien et critique d’art Yvan Moreau. Il est essentiel de réfléchir ce concept-là. Notre milieu de l’art, refusant de se cloisonner par une appellation plus précise, se définit continuellement (d’une manière presque obsessionnelle), malgré le passage du temps, par sa capacité à rester dans le moment présent. Moreau veut trouver dans cette idée de contemporain une «catégorie de la pensée humaine» qui dépasserait donc le stade d’un simple label octroyé par un groupe de musées, de galeries ayant le pouvoir symbolique suffisant pour imposer leur vision de l’oeuvre d’art. On lira aussi attentivement le texte du muséologue France Lévesque qui, entre autres choses, trace un portrait du passage du moderne au contemporain. À celui-ci s’ajoutent ceux de Jean-Pierre Martinon (chercheur en sociologie et en didactique de la culture à l’Université de Paris VIII) ainsi que de Manon Blanchette (directrice des communications et du marketing au MAC). Dans ce même numéro d’Etc., on prêtera aussi une attention particulière à un article de Mona Hakim, qui esquisse un juste portrait historique et théorique de la carrière d’Ulysse Comtois (décédé en juillet dernier).
Tissu social étoffé
Comme on peut le lire dans les communiqués de presse de l’expo Structure et surface: les tissus japonais contemporains, «les textiles représentent de précieuses sources d’information qui permettent de connaître les caractéristiques sociales et économiques d`une société». On n’a qu’à penser à l’hégémonie du tissu rêche, authentique et simple (trop simple?) du jeans. Longtemps il a été, dans le monde industrialisé, l’expression d’une jeunesse rebelle (à la suite de James Dean et Marlon Brando) ainsi que le signe de l’occidentalisation d’une bonne partie de la planète.
À travers cette présentation du Musée des arts décoratifs, le spectateur pourra contempler les possibilités quasi illimitées qu’offrent les textiles. Cette petite expo, élaborée par Matilda McQuaid du MOMA à New York et par Cara McCarty du Saint Louis Art Museum, est une curiosité. On pourra y voir des tissus conçus par vingt-neuf créateurs, artistes, et fabricants du Japon (Issey Miyake, Yoshihiro Kimura, Hiroyuki Shindo…). Tous seront émerveillés par les tissus transparents (et parfois légers comme l’air), ou par les textiles teints, métallisés (et réflecteurs), plissés et parfois presque sculptés, ou bien imprimés de motifs (à l’aide, par exemple, de plaques de métal ou de clous rouillés )… Le Basho-fu, constitué de fibres de bananier, est surprenant. Les visiteurs apprécieront beaucoup le fait que l’on puisse toucher (chose rare dans les musées!) une série d’échantillons de ces superbes pièces d’étoffe. L’installation de l’expo par Toshiko Mori est superbe. Seul regret: on aurait aimé voir davantage l’utilisation concrète de ces tissus, et pas seulement dans deux ou trois vêtements.
Jusqu’au 14 novembre
Au Musée des arts décoratifs
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