Arts visuels

Rober Racine : Entre ciel et terre

Artiste multidisciplinaire, ROBER RACINE crée des œuvres rayonnantes qui font souvent rêver. Dans sa plus récente expo, il évoque l’émerveillement que l’on ressent devant les étoiles et autres phénomènes célestes.

À la Galerie René Blouin, le spectateur est convié à poursuivre son exploration des étoiles. Après la céleste expo de Paterson Ewen, voici l’univers gigantesque et toujours en expansion de Rober Racine.
Depuis quelque temps, Racine pousse encore plus loin sa recherche artistique où les mots servent de matériaux aux propriétés évocatrices et poétiques presque infinies. Avec cette nouvelle présentation, il étend encore plus les ramifications entre les différentes disciplines artistiques. Comme s’il avait trouvé une manière pour voyager d’un monde artistique à un autre, avec une totale aisance. Comme s’il avait résolu (artistiquement) ce problème de l’unification – en seule loi – de toutes les forces de l’univers – énigme que les physiciens tentent de résoudre. Artiste multidisciplinaire (performeur, écrivain, musicien… ), Racine crée des œuvres rayonnantes qui font souvent rêver. Sa Musique des mots a même inspiré récemment la chorégraphe Marie Chouinard.

Parmi les trois espaces oniriques qu’il nous présente chez Blouin, on remarquera en particulier Spica (dont une version plus explicitement visuelle est publiée dans le dernier numéro de la revue Parachute). C’est une formidable installation. La petite salle de la galerie, comme l’espace intergalactique, est entièrement vide. Seuls quatre haut-parleurs, encastrés dans les murs – et donc presque invisibles – diffusent une voix énonçant «les noms des étoiles des principales constellations de la Voie lactée». C’est tout un défi que d’occuper ainsi le volume d’une galerie par une simple parole mélodieuse. Il est cependant relevé avec élégance. Le spectateur a envie de s’asseoir sur le sol, de fermer les yeux et de se laisser envoûter par cette énumération qui lentement égrène les dénominations de ces mondes inconnus. C’est comme une musique des sphères célestes. Cette voix envoûtante tient du conte pour enfants tout en possédant une certaine sensualité. On se plaît alors à imaginer des mondes étranges peut-être peuplés… Racine arrive à provoquer l’émerveillement que l’on ressent devant les étoiles ou autres phénomènes célestes.

Le spectateur appréciera aussi la pointe sèche Mare Serenitatis qui montre «la terre vue de la mer de la sérénité, site lunaire exploré lors de la mission Apollo 17». Cette gravure, réalisée dans les ateliers Graff, fait penser par sa texture et la densité de ses noirs aux superbes planches d’Odilon Redon.

Avec Selena, on a droit à une évocation de Séléné, déesse personnifiant la Lune, qui avait de nombreux amants. Cette œuvre est formée de 47 plaques de granit sur lesquelles sont gravés les noms de villes – Manille, Londres, Moscou, Montréal, Laval (sic)… – où sont présentés des morceaux du sol lunaire prêtés par la NASA. Comme un matelot, Séléné semble répandre son amour aux quatre coins du monde. Étrangement, dans cette série, on ne retrouve pas des cités d’Afrique. La contemplation de fragments lunaires concerne peut-être plus certains terriens que d’autres…

L’idée de ce contact entre le ciel et la terre est certes très belle. Pourtant, même si la forme des plaques peut évoquer les notes des partitions des chants grégoriens et encore la musique, elles évoquent aussi quelque chose de mortuaire qui est un peu dérangeant. Certes, comme pour Endymion (que Séléné avait plongé dans un sommeil profond pour le contempler), ou bien comme chez les romantiques, l’amour de la Lune risque de nous attirer dans une rêverie ténébreuse mortifiante. Nous pourrions aussi voir dans ces plaques comme une dénonciation d’une appropriation du ciel par la propagande et le rêve américains qui tuent la poétique des étoiles. Malgré ces explications possibles, Selena est la moins forte des trois œuvres exposées. Or, voilà une importante expo d’un artiste qui a certes ses racines sur terre mais la tête dans les étoiles. À voir absolument.

Jusqu’au 20 novembre

Galerie René Blouin

Curiosités architecturales
Dans la salle octogonale du Centre canadien d’architecture, on présente une bien curieuse exposition du Britannique Cedric Price. Celui-ci a une vision bien originale de l’architecture (ainsi que du concept d’exposition). Depuis les années soixante, il a privilégié une architecture polyvalente pouvant se transformer facilement selon les demandes de ses usagers présents et à venir. Nous pourrions résumer son attitude en disant qu’il a opté pour une architecture souple qui s’oppose «à la création d’espaces permanents ayant des fonctions spécifiques». Un de ses projets consistait à réaménager une ligne de chemin de fer abandonnée pour en faire une université itinérante.

En entrant dans le vestibule permettant d’accéder à l’expo, le spectateur est accueilli par la rythmique régulière du son d’un métronome (comme pour énoncer comment le temps est en fait le maître absolu de ce monde). Le ton est donné. Sur un mur, un panneau explicatif émet la mise en garde suivante, tirée d’une enquête sur les visiteurs de la Tate Gallery: «La majorité des gens que nous avons observés prenaient de cinq secondes à une minute pour lire le texte accompagnant une œuvre et de deux à quinze secondes pour regarder cette œuvre»…

Après une telle mise en scène, on peut contempler une série d’objets, de gravures, de photos illustrant les différents liens que l’architecture entretient avec la notion de temps. À travers les siècles, l’être humain s’approprie, se réapproprie, détruit, reconstruit et invente en permanence le monde et les bâtiments qui l’entourent. C’est ce phénomène d’absence de pérennité et de sens absolu que Price arrive, avec justesse, à décrire dans son expo. Ici, on peut voir une gravure montrant le transport d’un obélisque dans un seizième siècle hanté par l’antique. Là, une photo de la cathédrale de Cologne détruite durant la Seconde Guerre mondiale et qui a été reconstruite de façon presque identique. Plus amusante est l’image, datant de 1934, qui montre «la tour Eiffel décorée d’un panneau d’affichage électrique de la société Citroën servant aussi de thermomètre électronique» géant!

L’ensemble constitue une négation du parcours linéaire qui est la structure habituelle des expositions. Les différents artefacts sont numérotés dans le désordre. Le livret explicatif est volontairement placé à la fin de l’expo, ce qui invite le visiteur à entreprendre un deuxième tour à l’envers et, surtout, à s’approprier lui aussi le sens de ces artefacts. Sans vignette, ils sont souvent tout à fait énigmatiques. C’est très réussi et cela nous change des conventions muséologiques parfois ennuyeuses. On aime beaucoup.

Jusqu’au 27 février
Au Centre canadien d’architecture
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