Fabienne Lasserre : Frissons garantis
Avec La Caverne, sa plus récente expo chez Articule, FABIENNE LASSERRE a créé une installation vidéo qui donne des frissons comparables à ceux que suscitent les films d’horreur.
Vous souvenez-vous de cette étrange scène dans Poltergeist, où une petite fille, assise devant un téléviseur, entrait en contact avec des esprits? C’est une ambiance à peu près similaire que l’artiste Fabienne Lasserre a créée avec son expo La Caverne, à la Galerie Articule.
L’ensemble de la salle est dans la pénombre. Seul le rayonnement d’une multitude d’écrans cathodiques nous éclaire. Cette centaine de télévisions superposées – qui rappellent les installations de Nam June Paik – donnent à voir des images fantômes. Elles ont été réalisées par Lasserre, qui a recouvert ces écrans d’une couche de peinture, puis a gratté (on pourrait même dire «gravé») cette couche de pigment.
L’effet général est de l’ordre de l’apparition. Certaines figures semblent religieuses; d’autres évoquent plutôt le monde de la sorcellerie. Parfois le dessin fait penser aux images des cartes de Tarot. L’imagerie globale semble souvent ancienne et en liaison avec des forces et des mystères séculaires, presque oubliés. Une femme ayant trois seins (figure de l’abondance?) en côtoie une autre tenant dans une main son sein qu’elle a coupé elle-même, comme ces Amazones, symboles de la peur des hommes de voir se créer un monde dont ils seraient exclus! Ici, certaines figures évoquent le Moyen-Âge. Une série de pendus, le sexe dressé, fait penser au travail de Pisanello au début de la Renaissance.
À ces temps anciens vient se superposer une imagerie plus contemporaine, comme, par exemple, ces figures d’extraterrestres. C’est comme si les peurs de notre imaginaire collectif changeaient certes un peu de formes et de noms selon les siècles, mais restaient malgré tout très présentes. Même (et surtout) pour les enfants. Les dessins animés avec leurs épanchements de violence et d’hémoglobine ne sont pas absents de cet univers de l’effroi. Un petit calimero, avec une hache sanguinolente, ou encore une chauve-souris, aux traits de Mickey Mouse, illustrent bien comment l’imaginaire des enfants (ne serait-ce que dans les divers contes que les adultes leur racontent) est lui aussi hanté par un désir de donner un sens ainsi qu’un visage à l’horreur et à l’innommable. Cette installation vidéo est d’une très grande qualité visuelle. On adore tout comme on raffole des frissons procurés par les films d’horreur.
Par contre, on aime moins la critique de la télé, un peu facile, qu’on peut y lire en sous-texte. La présence sur certains écrans, en arrière-plan, de différentes émissions télé juxtaposées à ces images parfois effrayantes semble tomber dans une diabolisation rapide de la communication de masse. L’idée d’utiliser l’écran de télé comme support à des images, comme matériau de base, est bien suffisante, bien assez riche par elle-même. Elle ne demandait pas à être complexifiée (en fait, on pourrait même dire simplifiée) par l’ajout d’un discours critique, et moins fort, sur la culture de masse. Malgré cette réserve, voilà une expo fabuleuse.
Jusqu’au 18 décembre
À la Galerie Articule
Laissez un message s.v.p.
Toujours chez Articule, dans la petite salle, on surveillera aussi attentivement l’installation audio Up & Coming réalisée par le Montréalais Andrew Forster en collaboration avec l’artiste français Pierre Giner. Un répondeur recevra durant toute la durée de l’expo, jusqu’au 26 mars 2000, des interventions téléphoniques d’artistes de plusieurs pays. Voilà une bien bonne idée. Cette exposition est comme un panorama de l’art actuel. C’est très prometteur. On a hâte de voir comment, au cours des mois, cela va se développer.
Musées et conservateurs
La photographie, avant d’être une entreprise d’immortalisation de la société bourgeoise se faisant tirer le portrait ou un divertissement pour touristes, a été perçue essentiellement comme un instrument scientifique.
Les musées s’en sont servis dès 1853 comme document d’archives. Avec La Caméra dans l’ombre, la commissaire Vid Ingelevics trace un portrait de la place qu’a occupée la documentation photographique dans le travail des musées. On y dresse une histoire de la présentation des oeuvres dans les musées qui, bien que visant une certaine forme d’objectivité, fut malgré tout toujours extrêmement subjective. Voilà une problématique d’une grande importance.
Plusieurs images présentées sont captivantes, comme celles montrant des cadres vidés de leurs tableaux, durant la première Guerre mondiale, et ne servant d’écrins qu’aux noms (écrits à la craie sur les murs) des oeuvres qu’ils ont portés pendant de nombreuses années.
Dans cette présentation, on s’intéresse autant aux musées d’art qu’aux musées d’ethnographie ou d’histoire naturelle. C’est certes passionnant, mais on aurait aimé plus d’exemples concernant les musées d’art. Une section aurait certainement pu être dédiée aux cartes postales, aux posters et aux affichettes vendues dans ces institutions_ Les changements de l’esthétique de ce type de photos auraient aussi été révélateurs de l’imaginaire muséal.
Le visiteur pourra profiter de cette visite au Musée d’art de Joliette pour jeter un coup d’oeil à une autre expo, en provenance du Musée des beaux-arts d’Ottawa, qui fait un survol des 150 dernières années de la nature morte. Cette présentation ne bouleversera pas le spectateur par son originalité ou par le risque intellectuel qu’elle prend. Certes, cela se veut une simple manière de montrer et de faire circuler l’importante collection de ce musée qui ne peut présenter toutes ses possessions en ses murs. Néanmoins, cette expo est vraiment trop banale. Heureusement, quelques pièces valent le détour, par exemple, un extraordinaire Gauguin de 1889 ainsi qu’un très beau Courbet de 1871.
Jusqu’au 2 janvier
Au Musée d’art de Joliette
à signaler
– On attend avec impatience la parution du livre Textes furtifs de l’historienne et sociologue de l’art Lise Lamarche. Le lancement de cet ouvrage aura lieu le mercredi 24 novembre à 17 h à la Librairie Olivieri du Musée d’art contemporain (185, rue Sainte-Catherine Ouest).
– Le Centre canadien d’architecture propose une série de cinq soirées cinématographiques sur L’Architecture des musées. Cela commence ce soir, à 18 h, avec un documentaire sur le Centre Getty de Richard Meier. Puis, rendez-vous jeudi le 25, pour en apprendre plus sur le déjà très célèbre Musée Guggenheim de Bilbao réalisé par Frank Gehry, et sur le Centre Georges Pompidou qui rouvre ses portes le 1er janvier 2000. Information: 939-7026.