Luc Archambault : Énergie plastique
Arts visuels

Luc Archambault : Énergie plastique

Depuis plus de 25 ans, Luc Archambault développe une œuvre foisonnante, aussi diversifiée que cohérente. Une œuvre dont il ne se lasse pas d’expliquer le comment et le pourquoi. Entretien avec le fondateur de la Galerie d’un jour.

Quand j’y ai rencontré Luc Archambault, la Galerie d’un jour avait l’air plutôt abandonnée. Seules trônaient, ici et là, quelques pièces de céramique, sous le regard de rares tableaux. L’ œuvre de ce peintre, sculpteur et céramiste de Québec, est pourtant réputée abondante… J’allais vite comprendre: pour la dixième année, l’artiste présente une exposition du temps des Fêtes à Place Sainte-Foy (du 2 au 31 décembre). Y seront exposées bon nombre de ses œuvres peintes sur papier et sur toile, de même que des estampes, céramiques et sculptures. Je tombais donc en plein déménagement.

«Cette année, nous allons accueillir notre 56 000e visiteur!» m’annonce-t-il, pas peu fier. Dans ce décor soudain minimaliste, assis entre deux boîtes, nous allions bavarder un bon moment. Il en avait long à dire sur son cheminement, son rapport au temps, sur la mémoire des pierres ou encore sur sa vision de l’art dans la société québécoise.

Matière première
Luc Archambault est de ces artistes qui, de leur travail, n’évacuent jamais ni la raison ni la passion. Riche d’intuition autant que de rigueur formelle, sa démarche naît de la sensualité autant que de la réflexion: «Je suis quelqu’un de mental, de cérébral, mais aussi quelqu’un de physique, très à l’écoute de son corps. Il faut dire que j’ai grandi à Sainte-Catherine-de-Portneuf, en campagne, et que j’ai passé mon enfance à courir dans les bois, jouer dans la boue, grimper aux arbres… Quand j’ai découvert la céramique, d’ailleurs, j’ai retrouvé un rapport à la terre lié à mon enfance. Mais cette fois, je pouvais en extraire quelque chose: une œuvre d’art.»

Dans ses tableaux, fresques, céramiques utilitaires ou design de meubles, Luc Archambault demeure proche des matériaux de base, ceux qui font notre petite planète. Ceux qui transmettent les savoirs de l’humanité, aussi: «Le contact avec la terre nous met aussi en contact avec la préhistoire humaine. En fait, le plus vieux métier du monde, ce n’est pas la prostitution, c’est le travail de la terre! Encore aujourd’hui, nous sommes entourés de céramique. Nous n’y portons pas attention, mais de la vaisselle au bol de toilette, elle nous entoure. Même dans la navette spatiale, on l’utilise abondamment: il y a toute une technologie des semi-conducteurs basée sur les propriétés de la céramique.»

Ce désir d’entretenir un lien avec ce que nous avons été, aux sources mêmes de l’humanité, se reflètent clairement dans ces tableaux, où se détachent, sur des paysages orange et rouge terreux, des êtres souvent accroupis, à moitié dénudés, qui pourraient être nos ancêtres, mais qui pourraient aussi être nous-mêmes. Chez Luc Archambault, le temps ne sépare pas les êtres; il les unit par-delà les siècles.

Le temps des cathédrales
«Pour moi, la matière a une mémoire.» En quelques mots, le créateur vient de résumer l’un des axes principaux de sa recherche. Et il ne s’agit pas que d’une image: «Dans un tableau ou une céramique, ce n’est pas tant ce qui est représenté qui m’intéresse, mais le fait que la matière employée ait la mémoire de l’énergie que j’y ai mise. Inconsciemment, celui qui regarde une œuvre perçoit cette énergie de la matière. Les formes sont présentes, bien sûr, mais ce n’est là que la superficie. C’est pour ça que les reproductions ne donneront jamais qu’une idée approximative de l’original.»

Archambault soutient que nous sommes constamment en échange avec la matière, même inerte, qui nous environne. Sans croire aveuglément en tout ce qu’on raconte sur le sujet, il s’intéresse au chamanisme, prête attention aux propos des mystiques et n’écarte pas les théories qui accorderaient des pouvoirs particuliers à certaines pierres.

Ces pouvoirs ne relèvent pas nécessairement de l’ésotérisme. Chacun engage, consciemment ou non, des dialogues avec la matière: «Quand j’avais 11 ans, mon père est allé se spécialiser en médecine à Strasbourg, en France, et la famille a suivi. Le lycée où j’étudiais, à l’époque, était situé à côté de la cathédrale de Strasbourg, que je devais contourner chaque matin en descendant de l’autobus. À un moment, j’ai compris qu’en traversant la cathédrale, d’un transept à l’autre, je gagnerais du temps. L’enfant que j’étais n’a pas été impressionné outre mesure par l’édifice, même si je trouvais ça immense et beau. Mais quelques années après notre retour, je me suis rendu compte que ça me manquait infiniment, parce qu’il n’y a pas l’équivalent au Québec. Une cathédrale gothique, c’est rempli d’ œuvres d’art: les vitraux, la statuaire… Mais il n’y a pas que ça: la pierre elle-même m’avait fortement impressionné. Je prétends que c’était rentré dans les pores de ma peau.»

Exposition universelle
Depuis ce temps, Luc Archambault a donné libre cours à son inspiration et créé une œuvre abondante. Le nom est respecté, la démarche admirée. Aussi a-t-il eu maintes occasions d’exposer à travers le monde. Ses œuvres ont voyagé entre le Musée Faure, à Aix-les-Bains, la Galerie Aliyia d’Atlanta ou encore à la Galerie des Beaux-Arts de Perth, en Australie.

Son itinéraire compte aussi plusieurs spectacles-performances, durant lesquels des musiciens s’exécutent, pendant que le peintre compose un tableau, devant public. À ce jour, quelque 35 prestations du genre ont eu lieu, qui ont permis à Luc Archambault de faire chanter ses pinceaux sur la musique d’Uzeb, Bob Walsh ou Robert Charlebois.

Ce type d’événement n’est qu’un exemple des efforts accomplis par l’artiste pour établir un contact avec un large auditoire, lui qui voudrait tant assister à une véritable démocratisation de l’art, étant persuadé que chacun, même le simple d’esprit, éprouve quelque chose de fort devant le tableau ou la statuette.

Soucieux de trouver de nouveaux moyens de diffusion, il s’intéresse vivement au Web et autres nouvelles technologies. Comme quoi l’écoute et la transmission des «savoirs ancestraux de l’humanité», pour reprendre ses propres termes, n’empêchent en rien son ouverture au progrès. Bien au contraire. Pour voir de quelle manière il en use, il faudra effectuer une visite sur son site Internet, habilement conçu: www.Luc-Archambault.qc.ca. On y trouvera un répertoire de ses œuvres, quelques notices biographiques, de même qu’un forum d’échange sur son travail, sur l’art en général et sur la place qui lui est accordée en société.

Ras-le-bol
«Je crois que nous vivons dans une société pas aussi évoluée qu’elle ne le prétend», déclare Luc Archambault quand nous abordons le sujet de la place des arts au Québec. «Sur le plan des arts visuels, en tout cas, trop peu d’efforts sont faits pour que la population entre en contact avec les œuvres. Et il est faux de prétendre que la nature du travail explique cette évolution en vase clos.» Lui reste convaincu que l’art peut se vivre au quotidien, dans les lieux fréquentés pas tous. Il a d’ailleurs développé des projets de murales sur béton, un matériau dédaigné qui, du coup, gagne en noblesse. Dans la même veine, il a réalisé en 1997 une fresque de 1 200 pieds carrés sur le plancher du 16 de la rue Saint-André, dans le Vieux-Port, où sa galerie se trouvait alors.

«Moi, j’aimerais voir une émission de télé majeure consacrée aux arts visuels, poursuit-il. Je ne vois absolument pas pourquoi les arts visuels ne jouiraient pas d’une place comparable à celle de la chanson. Depuis Félix Leclerc et quelques autres, la chanson est devenue ce qu’elle est: un art à la portée de tous. Mais ça n’a pas toujours été le cas! Il a fallu que des infrastructures se développent, que le commerce de la chanson s’organise et que la diffusion soit opérationnelle avant que le Québec puisse supporter l’ascension d’une Céline Dion, l’artiste numéro un au monde. Il n’y a pas de raison pour que le commerce des tableaux ne soit pas aussi efficace», affirme celui qui n’hésite pas à se faire polémiste lorsque piqué au vif.

La main à la pâte
Luc Archambault aimerait voir naître un mouvement où le grand public irait vers la peinture ou la sculpture, sans que de soi-disant spécialistes ne lui prennent la main, tels des «grands prêtres qui répandent le savoir. J’y crois sincèrement, moi, en ce contact direct entre le profane et l’objet d’art».

En attendant, il repousse les frontières d’une œuvre où le primitif rencontre le moderne. Actuellement, il consacre de nombreuses heures (souvent nocturnes) à la céramique, qu’il avait délaissée pendant plusieurs années. Il travaille aussi beaucoup l’huile sur toile, lui qui, d’ordinaire, privilégie les œuvres sur papier (encre de chine, fusain, pastel sec).

Au fait, l’artiste convie tout le monde à un vernissage, le vendredi 17 décembre, à la Galerie d’un jour de Place Sainte-Foy (cour Holt Renfrew). Une série d’ œuvres récentes y seront dévoilées à l’ œil des curieux. À noter: l’événement se déroulera sous la présidence d’honneur du coloré Jacques Languirand.

Tout le mois, durant les fins de semaine, Luc Archambault sera lui-même présent dans les locaux temporaires de la galerie, avant de retourner à ses fourneaux de céramiste, dont les chaleurs écourtent le sommeil, certes, mais réchauffent un peu les nuits.

Du 2 au 31 décembre
À Place Sainte-Foy

Aussi à La Galerie d’un jour
(900, boul. Charest Est)