Marie-Suzanne Désilets : Artiste d'enquête
Arts visuels

Marie-Suzanne Désilets : Artiste d’enquête

Proche de celui de la Française Sophie Calle et de la Québécoise Raphaëlle de Groot, le travail de Marie-Suzanne Désilets s’inspire des mots et du langage sans que pour autant l’image ne se soumette à la structure narrative.

Durant une bonne partie des XIXe et XXe siècles, les arts visuels étaient libérés du littéraire. Depuis la Renaissance, ce dernier avait régné sur le monde des images et de la «visualité». L’art devait dire une histoire. Cette norme fut tellement forte qu’elle hante encore notre imaginaire collectif. Et souvent (malheureusement), nos contemporains persistent, même devant un tableau abstrait, à chercher ce que l’artiste «raconte».

Or voilà: on assiste actuellement à un surprenant retour du récit en art contemporain, sans que pour autant l’image ne se soumette à la structure narrative linéaire. L’exposition de Marie-Suzanne Désilets, à la Galerie Dare-Dare, s’inscrit parfaitement dans cette voie où la narration fait un come-back significatif mais où l’image semble, malgré tout, toujours opaque, résistant à sa transformation en mots. En parallèle, le langage semble y prendre ses distances par rapport à sa fonction de description, de dénomination des objets du monde qui nous entoure.

Le travail de Désilets est proche de celui de la Française Sophie Calle et de la Québécoise Raphaëlle de Groot, où des micro-récits émergent en s’apparentant, par exemple, à la structure de l’enquête et du roman policier. Calle a photographié dans un hôtel à Venise le contenu des chambres de ses locataires et a établi une reconstitution fictive (sans volonté d’une conclusion définitive) de leurs vies; de Groot a traqué sur des livres, dans une bibliothèque, les empreintes différents lecteurs.

À l’automne 1996, Désilets décide de se porter elle-même disparue et tente «de se retrouver». Elle placarde le centre-ville d’affiches sur lesquelles inscrit un numéro de téléphone. Les différentes personnes qui la reconnaissent laissent un message sur son répondeur. Et c’est la surprise. Tous la reconnaissent: elle est pour l’un Marie-Louise, pour l’autre Thérèse, pour une autre encore une certaine Stéphanie. Elle est confondue avec d’autres. La photo d’identité (de face comme lors d’une arrestation) n’apparaît pas remplir sa fonction.

L’image échappe à la reconnaissance, et apparaît comme un lieu de projection de sens plutôt que comme un espace énonciateur d’un message précis. Passant outre les quelques réactions négatives que sa méthode de travail a parfois suscitées (ce n’est pas drôle de se faire ainsi disparaître!), elle décide de continuer son expérience.

Dans un deuxième temps, elle demande à ces gens qui voient son affiche de se décrire sur son répondeur. Et là, c’est l’inverse qui se produit. Le langage semble bien généralisateur et incapable de dresser un portrait adéquat de ces individus.

Désilets a répété cette expérience avec des modifications, des variations, et le tout forme une pièce d’une grande originalité. On peut suivre, grâce à des écouteurs et des reproductions des affiches utilisées, les diverses péripéties de son enquête. Ce qui nous donne une série de superbes portraits photographiques et sonores d’une artiste en quête d’identité. Un nouveau visage à ne pas oublier.

Jusqu’au 20 décembre
À la Galerie Dare-Dare

Les dix ans du CCA
Le prestigieux Centre canadien d’architecture a dix ans. Les connaisseurs ont pu, durant toutes ces années, y admirer quelques-unes des plus intelligentes expositions au pays. Qui, par exemple, ne fut pas tout simplement émerveillé l’an dernier devant la pertinence de la réflexion théorique et devant la qualité de la présentation visuelle de l’exposition traitant de La pelouse en Amérique? Et la liste des événements importants qui ont eu lieu au CCA est longue.

Mais ce centre de recherche n’est pas uniquement un lieu d’expositions ou de conférences. Tous ceux qui ont eu la chance de travailler à la bibliothèque de cette extraordinaire institution savent les trésors qu’elle recèle. L’ensemble de la collection du CCA comprend cinq cent mille documents et œuvres diverses! Les archives de ce haut lieu du savoir architectural sont continuellement en expansion. L’exposition intitulée En chantier: les collections du CCA, 1989-1999 permet d’examiner quelques-unes de ses plus récentes acquisitions.

Le visiteur pourra y voir des pièces de grande qualité: des photos de Moholy-Nagy et de Rodtchenko, ou celles illustrant le travail d’«anarchitecture» et de «dessins dans l’espace» de Gordon Matta-Clark; des maquettes des projets d’Herzog, de Meuron ou de Le Corbusier; un carnet de croquis du néogothique George Edmund Street; un modèle réduit d’un monastère russe (jouet fabriqué au dix-neuvième siècle) . Chaque document est une curiosité.

On ne sera cependant guère satisfait de la présentation chronologique de l’ensemble. Cela manque d’originalité. Les conservateurs auraient pu tenter de faire des rapprochements entre les différentes pièces présentées. Un des buts de tout musée et de toute collection n’est-il pas de montrer les liens qui existent entre le présent et le passé?

Jusqu’au 30 avril 2000
Au Centre canadien d’architecture

Prix Pierre-Ayot et Louis-Comtois
Jeudi dernier, deux importantes récompenses en arts visuels ont été décernées. Le prix Pierre-Ayot, qui souligne la création d’un artiste de la relève, est remis pour 1999 à Emmanuel Galland. Le public a pu apprécier la grande qualité du travail de ce lauréat à plusieurs reprises, comme, par exemple, lors d’Artifice en 96 ou bien avec De fougue et de passion (au Musée d’art contemporain) en 1997. Galland a aussi conçu plusieurs expositions extrêmement intéressantes telles que Les Bricolos à la Galerie Clark, en 1998. Année où Voir a d’ailleurs choisi Galland comme l’un des «Nouveaux Visages» en arts visuels.
Son implication dans le milieu (entre autres dans les activités de l’Espace Vidéographe) en fait une nouvelle figure incontournable de l’art au Québec.

Quant au prix Louis-Comtois, qui marque l’apport en art contemporain d’un artiste en mi-carrière, il a été remis à Sylvie Laliberté. Cette créatrice multidisciplinaire, à travers ses performances, ses vidéos, ses gravures, ses photos, a élaboré, depuis plusieurs années, un univers artistique où le ton humoristique frôle l’absurde. Récemment, on a eu le plaisir de voir sa production à la Galerie Christiane Chassay. Ces jours-ci, le public a la possibilité d’expérimenter le travail de Sylvie Laliberté dans le cadre de l’expo Culbutes au Musée d’art contemporain.

à signaler
Au Centre de design de l’UQAM (1440, rue Sanguinet), Dix ans d’architecture israélienne qui, selon Ami Ram (architecte et conservateur de l’expo), tente d’associer «le confort actuel à des valeurs spirituelles tout en faisant dialoguer les cultures israélienne et arabe». Jusqu’au 19 décembre

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