Roland Poulin : Avec le temps
Les sculptures-installations que Roland Poulin expose au Musée d’art contemporain traitent de l’oubli, de la disparition, mais aussi de la mémoire, du souvenir, et de l’émergence du passé dans le monde actuel.
L’art moderne a été une réflexion et une remise en question de toutes les composantes de l’oeuvre d’art. L’un après l’autre, tous les paramètres constitutifs de ce qu’est un tableau ou une sculpture ont été réévalués par les artistes. Depuis longtemps les socles et les cadres, qui sacralisaient trop l’art, ont presque totalement disparu. Les dadaïstes ont exposé des éléments de sculpture au plafond; Tatlin a accroché ses contre-reliefs à la rencontre de deux murs; Malevitch a placé son carré noir sur fond blanc dans un coin de cimaise; et, depuis, par les installations, l’espace entier est devenu oeuvre.
Pourtant rares sont les créateurs à avoir incorporé avec autant d’habileté le sol (de la galerie ou du musée) à leur création, jusqu’à en faire un matériau vivant, comme le fait Roland Poulin. Les sculptures-installations que l’artiste expose actuellement au Musée d’art contemporain donnent souvent l’impression que le parquet de bois des salles devient mou, s’enfonce, se contorsionne même par endroits. C’est toute la stabilité et l’élévation du monument qui sont ainsi minées par la base. Dans Déplacement lent, on dirait même que le sol se fait eau, les piliers de bois légèrement inclinés évoquant les poteaux pour amarres de gondoles à Venise. D’autres pièces font penser à ces bunkers ou fortins (comme sur les plages de Normandie) lentement engloutis par le sable.
Bien sûr, comme plusieurs critiques l’ont fait remarquer, la production de Poulin est hantée par la mort. Ici, on croirait voir un arbre foudroyé; là, une croix et, à côté, un tombeau. Le tout, d’une couleur brun-noir, se détache avec solennité et une certaine tristesse sur le blanc cru des murs du musée. Arbre du soir – hommage à un ami, Jean Papineau – , tombeau symbolique, fait penser à ce que l’on peut voir dans certains cimetières. Les monuments funéraires sculptés y sont d’imposants caveaux dans lesquels on descend par une volée de marches.
Mais, plus précisément, le travail de Poulin traite de l’oubli, de la disparition, mais aussi de la mémoire, du souvenir, et de l’émergence du passé dans le monde actuel. Malgré ce que les monuments anciens nous ont laissé croire, le temps ne fonctionne pas dans une lente usure en surface, comme une belle patine qui arrondirait un peu les reliefs d’une sculpture. Le sol mou du système installatif de Poulin semble pouvoir engloutir par pans entiers des morceaux du présent. Mais heureusement, à l’inverse, ce sol semble permettre de faire ressurgir des bribes du passé. Les portes de la mémoire sont à double sens.
Voilà un artiste qui, depuis trente ans, a développé un langage plastique bien particulier et d’une intensité remarquable.
Jusqu’au 26 mars 2000
Au Musée d’art contemporain
Art présent en mutation
Paul Lacerte s’était un peu éclipsé du milieu de l’art. Mais, depuis 1998, avec Les Bricolos, il présente à nouveau ses recherches sur les machines et mécaniques de toutes sortes.
Toujours chez Clark, il nous propose une expo intitulée Je t’. Cette bribe de phrase, qui s’inspire du Tu m’ ( «Tu m’emmerdes» et à la fois «Tu m’aimes») de Duchamp, tient d’une déclaration de guerre et d’amour à l’art.
Lacerte explique sa «frustration de ne pas avoir assez de dynamique avec le public, de ne pas voir ses réactions» devant sa production lors des expositions. Il a donc décidé, cette fois-ci, d’accompagner son installation et, d’une certaine façon, d’en faire partie. Vêtu d’un bleu de travail au dos duquel est inscrit le mot «entretien», Lacerte explique aux visiteurs sa démarche et modifie sa pièce tout au long de la présentation. On se croirait presque dans l’atelier d’un inventeur original prêt à créer pour nous un nouveau bidule, certes moins utile qu’on aurait pu le croire, mais qu’on gardera car on le trouve beau. Par exemple, on peut voir un tourne-disque surmonté d’une machine à coudre, ou un écran télé diffusant plusieurs heures durant des génériques illisibles d’émissions ou de films.
Lacerte s’amuse aussi à faire des montages (véritable machines visuelles) d’images captivantes. Sur un mur, le spectateur verra une série de photos de personnages la bouche ouverte: Elvis en train de chanter; Lee Harvey Oswald, le meurtrier de Kennedy, au moment où il se fait abattre; un tableau de Bacon montrant le pape Innocent X en train de crier; le pape Jean-Paul II bâillant… Amusante réflexion sur le fait qu’une même image, une même iconographie a plusieurs sens possibles.
L’ensemble de ce bric-à-brac forme une expo un peu échevelée. Or, justement, pour cette raison, elle est à la fois surprenante et fascinante.
Jusqu’au 19 décembre
À la Galerie Clark
De l’or en bars
La Brasserie McAuslan s’associe au milieu de l’art. Depuis quelques jours, le consommateur peut trouver dans les bars une série de sous-verres pour la bière Saint-Ambroise qui affichent aussi le travail de quatre artistes contemporains: l’Atelier In Situ, Mathieu Beauséjour, Marc Séguin, et François Vincent. Voilà un concept intéressant, car il permet de faire mieux connaître, et par un large public, l’art actuel. Cela change de la commercialisation des artistes classés telle, par exemple, cette «cuvée Monet_» vendue l’an dernier au Musée des beaux-arts de Montréal. Comme il s’agit d’une édition limitée, on imagine déjà les collectionneurs se bousculant.
À signaler
– Vendredi 17 décembre, à partir de 17 h, se tiendra le lancement du Livret 98-99 de la Galerie Skol (460, Ste-Catherine Ouest, espace 511). On pourra y lire une série de textes théoriques traitant des expositions – dont plusieurs ont retenu notre attention – ayant été présentées cette année dans ce centre d’artistes.
– La Galerie B-312 (372, Ste-Catherine Ouest, espace 403) organise une tombola bénéfice, le 18 décembre, entre 20 heures et minuit. À gagner: une oeuvre de Joseph Branco, des céramiques de Marie-A. Côté, ainsi qu’une pièce de François Lacasse. On nous promet que la soirée sera éclatée.
– L’exposition solo du jeune artiste Jason Baerg, originaire de Sarnia, Ontario, vient juste de se terminer au Belgo. Notons, en particulier, ses tableaux faits à partir de fourrure synthétique, ainsi que son iconographie à la croisée de l’art thérapeutique et du pop-Art. On attend avec intérêt ses prochaines créations.