Tissot au Musée du Québec : En modernité et tradition
Arts visuels

Tissot au Musée du Québec : En modernité et tradition

James Tissot n’est pas le peintre le plus connu du XIXe siècle. Surtout reconnu pour son «réalisme saisissant», le travail de Tissot n’a pas participé avec le même éclat que celui des impressionnistes aux grands bouleversements de l’art  moderne.

Un peu éclipsés par les grands de l’époque (Manet, Degas, Pissarro ou Renoir), James Tissot n’est pas le peintre le plus connu du XIXe siècle. Surtout reconnu pour son «réalisme saisissant», le travail de Tissot n’a pas participé avec le même éclat que celui des impressionnistes aux grands bouleversements de l’art moderne. Cependant, depuis les années 1960, les historiens d’art revisitent le XIXe siècle et redécouvrent l’apport des oeuvres et des artistes en périphérie des grands mouvements.

La rétrospective de Tissot, qui vient d’ouvrir au Musée du Québec, s’inscrit dans cette voie. Robert Rosenblum, conservateur au Guggenheim de New York, écrivait dans la revue Débat en 1987: «La perspective moderniste, qui a prévalu au milieu du XXe siècle, est aujourd’hui détrônée au profit de ce qu’on pourrait appeler une reconstruction post-moderniste du XIXe siècle.» Reconstruction, révisionnisme ou réhabilitation, la distance d’un siècle qui nous sépare des débuts de l’art moderne permet assurément de nouvelles lectures, qui ont le mérite d’élargir nos connaissances historiques.

Si on considérait il n’y a pas si longtemps la peinture de Tissot comme étant surtout anecdotique, on semble aujourd’hui lui trouver de nouvelles qualités. Des expositions importantes aux États-Unis et en Angleterre ont stimulé l’intérêt et la recherche sur l’oeuvre de James Tissot. Et le prix actuel de ces oeuvres s’avère proportionnel à l’engouement que lui manifestent les amateurs d’art. Selon le directeur du Musée du Québec, John R. Porter, aussi conservateur de l’exposition, «le musée doit être un lieu de redécouverte et de relecture de l’histoire de l’art. Les remises en question et le renouvellement du regard, poursuit-il, ce sont des nouvelles tendances dans les musées. Avec Tissot, vous avez là un grand peintre qui, à bien des égards, éclaire les impressionnistes». C’est ce qu’on pourra apprécier avec cette rétrospective organisée par The American Federation of Arts de New York et le Yale Center for British Art de New Haven. D’abord présentée à New Haven, cette exposition se rendra à Buffalo après son passage dans la Vieille Capitale

Bien que l’exposition propose des oeuvres de toutes les périodes de la vie de Tissot, elle éclaire surtout sa production londonienne qui apparaît la plus intéressante de son oeuvre. Le peintre s’est exilé en Angleterre après la chute de la Commune en 1871. À Londres, il rencontrera Katleen Newton. À la fois modèle et concubine de l’artiste, cette jeune femme divorcée et mère de deux enfants figurera dans plusieurs des tableaux de la période londonienne. Pendant cette liaison non conformiste dans l’Angleterre victorienne, Tissot se détournera progressivement des représentations de la vie publique pour s’intéresser davantage à des scènes plus intimes et familiales.

Il était alors fasciné par la mode, la vie élégante, bourgeoise et sophistiquée des nouveaux riches. Le peintre pose un regard souvent ironique, parfois sarcastique sur ses contemporains. Avec la distance du dandy, il se moque volontiers de leurs travers, souvent avec humour. Mais évidemment, tout cela est exprimé avec une subtilité qui n’a d’égale que le coup de pinceau précis et fin de l’artiste. Les détails vestimentaires abondent dans des scènes où les regards équivoques et les jeux de séduction mènent le bal. À l’arrière-plan, on retrouve l’Angleterre industrielle avec une exactitude et un goût marqué pour le détail.

Les tableaux de Tissot conservent une qualité documentaire indéniable. Sa peinture se révèle aussi intéressante dans ses innovations formelles. Admirant A Passing Storm de 1876 montrant Katleen Newton étendue nonchalamment à l’avant-plan derrière laquelle se lève un ciel orageux, le directeur du Musée du Québec rappelle les qualités de la peinture de Tissot: «C’est dans la saisie de l’instant, dans l’originalité du cadrage et dans les grandes diagonales que Tissot est moderne. Ce sont des façons de faire non académiques, non seulement dans la modernité des sujets, mais aussi dans leurs traitements.»

Si Tissot nous apparaît au premier abord un peintre réservé par la facture presque léchée de ses tableaux, ses mises en pages et le choix de ses sujets s’avèrent effectivement plus originaux. Comme le disait Rosenblum à propos de Tissot: «On croirait voir du Manet, le flou en moins.» Alors que chez ses amis parisiens, l’utilisation de points de vue audacieux et de cadrages presque photographiques participeront à l’élaboration de la peinture impressionniste et à la déconstruction de la représentation, la production de Tissot conservera, quant à elle, une facture où dominera une perfection technique loin du non-finito et de la liberté des tableaux impressionnistes.

Quoique la peinture de Tissot s’avère beaucoup moins audacieuse que celle des peintres impressionnistes, la rétrospective de son oeuvre a le mérite d’aiguiser notre curiosité historique et de nous faire découvrir un pan peu exploré du XIXe siècle. La fréquentation de ses tableaux apparaît aussi propice aux émotions esthétiques. Car si la beauté se révèle dans le détail chez Tissot, c’est parce que le fragment infime est le lieu par excellence où s’exerce la fascination pour la dimension poétique de la peinture. C’est dans le détail que s’exprime l’oscillation fragile entre la matière et la représentation.

Jusqu’au 2 mars 2000

Au Musée du Québec

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