Triomphes du baroque : Au pays des géants
À partir d’une série de maquettes anciennes, de tableaux et de dessins d’architecture, le Musée des beaux-arts dresse le portrait du mouvement baroque. Une période historique et grandiose.
Après quelques expositions décevantes (Duane Michals, René Derouin, Monet à Giverny, Goodridge Roberts), le Musée des beaux-arts de Montréal a réajusté le tir depuis quelques mois avec de très importants événements (en particulier Cosmos et Moi et ma circonstance, sur l’art mexicain contemporain). Depuis la fin décembre, avec Triomphes du baroque: l’architecture en Europe, 1600-1750, le Musée poursuit sa série de bons coups qui procurent à la fois des plaisirs intellectuels et esthétiques.
Avec cette présentation triomphale, le spectateur est placé devant un superbe paradoxe: ressentir la grandeur et la démesure du baroque à partir de modèles réduits de son architecture. Le plus étonnant est que cela fonctionne admirablement bien. Il faut dire que cette époque a su jouer, à merveille, sur les effets de perte d’échelle.
À partir d’une série d’extraordinaires, de mirifiques maquettes anciennes, de tableaux et de dessins d’architecture, le MBAM dresse le portrait d’une période historique qui s’est ingéniée à devenir grandiose. Quels superlatifs utiliserons-nous pour vous décrire certaines des pièces présentées? Époustouflantes sont les maquettes du monastère Smolny et du Palais du Kremlin; somptueux se révèlent les tableaux de Pannini réinventant la Rome antique et la Rome moderne; splendides apparaissent les terres cuites du Bernin pour sa célèbre Extase de sainte Thérèse et pour la Fontaine des Quatre-Fleuves à Rome.
Pour défier l’histoire et le temps, qui tendent à tout décomposer, à faire tout disparaître, à tout rendre petit, le baroque a voulu voir grand. Une anecdote au sujet du Bernin est révélatrice. Venu à Paris, pour élaborer la façade du Louvre, il aurait dit à Louis XIV: «Qu’on ne me parle de rien qui soit petit.»
Et par la construction d’ensembles architecturaux et urbanistiques imposants, le baroque s’est voulu une ère de magnificence. Dans cet esprit, l’utilisation des maquettes n’était pas qu’une méthode de travail pour l’architecte afin de visualiser en trois dimensions les plans de ces projets. Ni non plus, tout à fait, une manière de convaincre les clients de la qualité d’un concept. Il y a dans la maquette une expérience du pouvoir, une manière de voir le monde du point de vue de Dieu.
Cette expo nous parle bien de cette époque où le pouvoir royal s’est affirmé. Les palais, comme celui de Versailles, ou les importants travaux faits à Moscou et à Saint-Pétersbourg ont participé à asseoir la puissance des monarques comme Louis XIV ou Pierre le Grand.
On ressentira aussi la démesure et même la folie des projets envisagés. Le monde s’y transforme en décor. Il y a presque quelque chose d’infantile dans tout cela. L’expérience de la perte d’échelle n’étant pas loin de ce que nous avons tous expérimenté petits. Les maquettes possèdent un aspect jeux d’enfants pour les maîtres du monde.
D’ailleurs, les maquettes furent d’une grande utilité pour les monarques et pour les architectes; mais elles restèrent méconnues du public en général. La maquette du Kremlin était exposée au XVIIIe siècle pour le plaisir de tous «à l’exception du vulgaire». Car le peuple aurait pu en les contemplant prendre la place de Dieu, du roi, ou de l’architecte.
D’ailleurs, certains intellectuels de l’époque se sont rendu compte des enjeux politiques qu’il y a dans ces questions d’échelle. On n’a qu’à penser aux Voyages de Gulliver, de Swift, avec ses Lilliputiens et ses géants, ou bien à Micromégas, ce conte philosophique de Voltaire, mettant en scène un géant de la planète Sirius. Au lieu de rendre grandioses les puissances du monde, ces histoires les relativisent à l’extrême.
Pour conclure, on soulignera la mise en scène très réussie de cette expo, bien qu’elle aurait pu être davantage dramatique. On aime particulièrement cette projection vidéo d’un ciel nuageux comme décor pour la maquette de l’église Saint-Isaac, et l’horizon peint derrière le Kremlin. Depuis quelques années, la muséologie innove et joue de plus en plus sur l’aspect théâtral des expositions. Avec Keith Haring, on avait recréé l’esprit d’une station de métro et d’une discothèque. Avec Exilés + émigrés, Frank Gehry avait construit, grâce à une ensemble de grilles métalliques et à un recouvrement de sol en caoutchouc, une atmosphère étouffante. Dans les dernières salles de Cosmos, un effet de nuit étoilée avait été bien élaboré. Cette façon de faire rend les expositions encore plus impressionnantes. L’oeuvre d’art n’est-elle pas affaire de spectacle? Le baroque est bien d’actualité.
Jusqu’au 9 avril
Au Musée des beaux-arts de Montréal
À signaler
– Les livres d’artistes constituent une partie moins connue de l’art contemporain même s’ils représentent un domaine d’expérimentation important. La Bibliothèque nationale du Québec (1700, rue Saint-Denis) nous permet de combler cette lacune grâce à l’expo Le scénario visuel de la page: 100 livres d’artistes. Jusqu’au 20 janvier
– L’esthétique presque kitsch du peintre canadien (vivant à Calgary) Chris Cran est à l’affiche à la Galerie Liane et Danny Taran du centre des arts Saidye Bronfman. On s’amusera en particulier avec sa série d’autoportraits parodiant d’autres types d’images comme des tableaux célèbres ou des portraits officiels. Jusqu’au 9 janvier