Lutz Dille : Pris sur le vif
La Galerie Mistral nous fait découvrir trois photographes dont l’exceptionnel LUTZ DILLE. En attendant une exposition qui offrira une vision d’ensemble plus complète de sa production.
Voici une belle surprise. Avec son expo Voyageurs: 3 perspectives, la Galerie Mistral nous permet de découvrir, parmi les trois artistes qu’elle présente, un photographe dont on n’avait que rarement pu voir l’exceptionnel travail.
Lutz Dille est né en Allemagne en 1922 et émigra au début des années 50 au Canada où il travailla à l’ONF et à la CBC. C’est d’ailleurs à la société d’État qu’il a réalisé, dans les années 60, quelques courts métrages composés d’un montage de ses clichés. Avec La Ville, le spectateur aura un aperçu de son oeuvre constituée de photographies prises dans les rues de différentes villes à partir de 1947.
Soulignons la force de plusieurs images. On pense à l’étrangeté présente dans Naples – où deux bonnes soeurs, l’air sévère, ressemblent à des travestis; la luminosité de ce visage d’homme, la tête auréolée tel un saint, dans Irlande; la légèreté des rires de ces adolescents en train de regarder des photos de femmes nues dans Londres.
Le spectateur appréciera que les tirages présentés soient d’une grande qualité avec des noirs intenses et très texturés. Seul regret: la banalité des cadres en métal n’est pas à la hauteur des images qu’ils doivent mettre en valeur.
On notera aussi avec attention les images d’Alain Chagnon. Avec Des villes en déserts, il a réalisé un genre de road movie photographique de l’Amérique. Sur plusieurs panneaux de mur s’étire un ruban de photos, comme une frise ou comme un de ces panoramas du XIXe siècle, mais revu à la mode contemporaine, c’est-à-dire fragmenté en toute une multitude d’images. Il s’agit d’une tranche d’Amérique, un condensé de quinze mille kilomètres d’un voyage à travers son territoire.
Enfin, notons les images du Kosovo et de la Chine d’Iva Zimova qui nous enchantent cependant beaucoup moins. Malgré leur pertinence d’un point de vue documentaire, elles demeurent assez conventionnelles d’un point de vue artistique.
Jusqu’au 19 février
Galerie Mistral
Marie Josée Laframboise
Son exposition s’intitule Rets, mot qui sert à désigner une sorte de filet pour capturer le gibier ou le poisson. Et, en effet, Marie Josée Laframboise sait capter notre attention.
La petite salle de la Galerie Circa est envahie par un réseau de ce qui ressemble, au premier regard, à un cordage. En fait, il s’agit d’une structure réalisée à partir de papier brun kraft. Ces feuilles, une fois chiffonnées, tordues, nouées ensemble, acquièrent une rigidité qui a permis à l’artiste de bâtir cet entrelacs. On croirait que le tout est monté sur une structure de fil de fer. Mais non. La résistance du papier kraft est suffisante. C’est simple, mais surprenant et emballant! Une fois que l’on a compris l’ingéniosité du système, on a envie d’en vérifier la solidité. On doit alors, comme l’écrit Jocelyne Fortin dans le texte de présentation, «lutter contre le désir de prendre d’assaut cette paroi de filages».
L’ensemble évoque les cordages pour des exercices de gymnastique et d’entraînement des militaires, une toile d’araignée, un microbe vu au microscope.
Bien sûr, le fait que cette oeuvre occupe la presque totalité de l’espace semble du coup le condamner. Une telle attitude fait penser à Walter de Maria (avec, par exemple, 50 m3 Level Dirt constituée d’une couche de tourbe qui interdisait l’entrée d’une galerie de Munich). Cela se réfère aussi aux Ficelles, de Marcel Duchamp, lors de l’exposition Surréalisme, à New York, en 1942. Celui-ci avait alors tendu tout un système de cordes pour perturber la visite de cette expo et rendre ainsi difficile l’observation des pièces des autres artistes.
Il y a dans cette manière de faire comme une interdiction de la contemplation conventionnelle des oeuvres. Comme si l’artiste voulait casser la méthode habituelle de consommation de l’art. Avec Rets, le spectateur ne peut plus être simplement debout, mais doit, par exemple, se faufiler entre les montants de la structure. Laframboise revient intelligemment sur l’une des problématiques importantes de l’art moderne, en obligeant le spectateur à repenser son rapport corporel et (bien sûr) social à l’art.
Jusqu’au 5 février
Galerie Circa
À signaler
L’artiste Bettina Hoffman, qui vit et travaille à Berlin et à Montréal, expose Affaires intimes à la Galerie Optica. Au premier coup d’oeil, ses photos semblent tout à fait banales. Mais elles créent une atmosphère des plus inquiétantes puisque toutes les femmes représentées, malgré des différences d’habillement, constituent en fait une suite d’autoportraits. Narcissisme ou signe qu’il est vraiment impossible de comprendre chez les autres, autre chose que soi-même? Jusqu’au 19 février
Erratum
Contrairement à ce que nous avions indiqué dans le spécial de la rentrée d’hiver, la semaine dernière, l’exposition de Raphaëlle de Groot, L’arène des livres, se déroulera du 16 mars au 13 avril, au Centre d’exposition de l’Université de Montréal. (Et non à partir du 17 février.)