Nicolas Renaud : L’arrache-coeur
Chez Skol, Nicolas Renaud signe une oeuvre qui parle avec intensité, justesse, et sans maniérisme, des dysfonctions du corps et de la difficulté d’exister.
Le visage d’un individu en gros plan; il articule avec difficulté quelques phrases; il faut dire que sa bouche et ses yeux sont harnachés d’une prothèse de métal faisant penser aux scènes les plus terribles d’Orange mécanique. Ceux qui ont vu l’an dernier cette installation vidéo, intitulée Articulations et présentée à l’Espace vidéographe, s’en souviendront longtemps. Réalisée par Nicolas Renaud et Ralph Ghoche, elle avait valu à ces artistes, en 1998, le Prix de la meilleure installation vidéo lors de l’événement interuniversitaire de création vidéo. Depuis, Renaud a fait un passage par Weimar en Allemagne, à la Kulturstadt Europas 99. Il y a présenté une autre pièce d’une grande violence, mettant en scène un homme qui, à force de respirer uniquement l’air d’un sac en plastique, semblait être en train de s’étouffer ou d’avoir une crise d’hyperventilation.
Chez Skol, ces jours-ci, on peut voir la plus récente réalisation de Nicolas Renaud. Avec Parler de quelqu’un à soi-même, ce jeune artiste continue à discuter avec intelligence d’un corps douloureux. Ce sujet fut certes traité par une multitude d’artistes anciens et contemporains (de Louise Bourgeois à Kiki Smith, en passant par Bill Viola). Néanmoins, Renaud arrive à nous surprendre.
Sur un écran, un orifice humain plus ou moins identifiable évoque une plaie ouverte. Il s’agit en fait d’une bouche obstruée par des glaçons. Le visage ainsi handicapé (presque paralysé), un individu (l’artiste) tente péniblement, durant un plan-séquence de huit minutes, de nous lire un extrait de quatre pages d’un texte d’Hubert Aquin, L’invention de la mort. On y parle d’une relation un peu compliquée entre un homme et une femme mariée. La majorité des mots ainsi lus sont inintelligibles et puis, par moments, on comprend des termes comme «amour» ou comme «corps». Cette bouche ouverte, qui a du mal à dire tout son émoi, est une manière de réactualiser une bien ancienne iconographie présente dans l’antique Laocoon, l’Ève de Masaccio, ou la Tête de damné du Bernin.
Sur un autre pan de mur, le spectateur a droit à un autoportrait instable de l’artiste: une projection vidéo en mouvement actionnée par un ventilateur. Le déplacement continuel de la caméra et du projecteur est à vous donner le mal de mer. Chez Renaud, ce n’est donc pas seulement avec l’autre qu’on a du mal à dialoguer, c’est aussi soi-même que l’on a de la difficulté à représenter.
Pour amplifier cette atmosphère trouble, l’espace de la galerie est sans cesse éclairé puis plongé dans l’obscurité. Voilà une oeuvre qui parle avec intensité, justesse, et sans maniérisme, des dysfonctions du corps et de la difficulté d’exister. À voir absolument.
Jusqu’au 12 février
Galerie Skol
Morceaux du présent
Lors des Bricolos, en 1998, nous avions particulièrement apprécié son cube formé de toute une série de petits morceaux de papier découpés dans des magazines. C’est donc avec impatience que nous attendions sa nouvelle présentation. Nous sommes malheureusement un peu moins enthousiasmés par les nouvelles sculptures que Laurent Roberge a installées à la Galerie Clark.
L’artiste y traite des notions de trace, de fantôme, de disparition, du temps qui transforme lentement notre quotidien en poussière incompréhensible et non identifiable. Par exemple, on peut voir un amas de confettis (de périodiques) disposés sur le sol et laissant apparaître en creux la marque de semelles de chaussures. Roberge sait bien faire fonctionner des notions qui s’opposent: la légèreté du temps présent qui tend parfois à s’accumuler et à devenir un poids; les moules servant à créer des formes en négatif dans l’informe de ces découpes de papier. Cependant, on dirait qu’ici la mécanique de fabrication et de montage, le «faire» de l’oeuvre a pris le dessus sur le sens véhiculé et sur l’effet visuel général, qui sont un peu trop simples. Dommage. Mais il n’empêche que la démarche de cet artiste est originale, qu’elle mérite et continuera de mériter toute notre attention.
On profitera de cette visite à la Galerie Clark pour jeter un coup d’oeil aux fusains de Randall Finnerty. Celui-ci est un très habile dessinateur. Comme l’écrit, très justement, Sonia Pelletier dans son texte de présentation, ces dessins réussissent, grâce à une technique d’estompage, à créer un effet onirique. Cependant ses Highway Signs, constitués d’un jumelage de représentations d’animaux et de paysages construits par les humains, mettent en place un système de représentation du monde qui oppose nature et culture d’une manière trop littérale. On sera aussi très sceptique quant au commentaire de Pelletier, pour qui parler de la désincarnation inhérente au dessin et à toute représentation, discute de l’ère de la communication où «domine l’image sous toutes ses formes» et déplore «dans le même sens que Régis Debray qu’il y a trop d’images et très peu de chair». On pourrait dire le contraire et avoir tout autant raison. Le problème actuel ne réside pas dans le fait qu’il y ait trop d’images produites par la culture et pas assez d’expériences directes de la nature, du monde (ou des corps) qui nous entourent, mais plutôt dans la simplification qu’impose cette opposition nature-culture.
Jusqu’au 19 février
Galerie Clark
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