Le mois Multi : Mots croisés
À Québec comme à Montréal auront lieu pendant tout le mois de février différentes performances et installations multidisciplinaires. Doit-on s’attendre à une apologie de la technologie? À une parade de divers dispositifs multimédiatiques? Pas tout à fait. On y fera plutôt un état des expériences sur le métissage des langages et de ses effets sur le processus de création.
L’intérêt des arts multidisciplinaires se situe dans les questions et les nouvelles problématiques que la confrontation de différents médiums et de diverses disciplines peuvent provoquer. Comme le signale fort à propos la chorégraphe Isabelle Choinière: «En ce qui a trait au multimédia, on est en phase de transformation. Avant, on superposait des couches d’informations traitant de la même chose, des mêmes thèmes. Maintenant, on assiste à un croisement de langages, à la rencontre de plusieurs éléments.» Ces langages entrecroisés sont autant ceux du corps, de l’image numérique, du son et du calcul informatique que ceux de la communication par réseaux. Si cette conception de l’approche multidisciplinaire s’apparente aux recherches d’Isabelle Choinière, on en trouvera sûrement les échos dans plusieurs des oeuvres hybrides présentées pendant le mois Multi. Voici un avant-goût de ce qu’on nous réserve.
Fresque lumineuse
L’éclairagiste-pigiste montréalaise Caroline Ross, aussi membre de la direction artistique de Recto-Verso, a réalisé une installation vidéo actuellement en cours dans le laboratoire In Vitro au Complexe Méduse. L’installation Lumens (du 2 au 6 février, performance les 4 et 5 février prochains) est constituée d’un imposant écran de fumé contenu dans une structure de métal. Ce couloir en spirale est recouvert de plastique transparent sur lequel cinq projecteurs vidéo présentent des images réalisées par Boris Firquet. «Ce n’est pas tant l’image qui m’intéresse dans la vidéo, souligne la conceptrice Caroline Ross, que le jet lumineux. Les contrastes, les flous, les couleurs qui provoquent différentes émotions…» À l’intérieur de ce couloir où la fumé matérialise la lumière et donne à l’image une densité variable et une épaisseur fascinante, Pascale Landry se déplace. Véritable performance de la part de la comédienne, qui porte heureusement un masque, puisque l’air y est totalement irrespirable. Quant à nous, en véritables spectateurs, nous nous déplaçons tout autour de ce tableau lumineux à la fois fresque poétique de lumière et décor à l’intérieur duquel cherche à s’exprimer l’incohérence humaine.
Bricolage high-tech
D’abord présentée en 1996, puis au Sommet de la francophonie de Moncton l’été dernier, la toute nouvelle version II.I de La Salle des noeuds (du 16 au 20 février) de Jocelyn Robert et d’Émile Morin est le résultat d’un vox-populi vidéo mettant en parallèle deux villes: Abidjan en Côte-d’Ivoire et Québec. Les images d’Afrique parviendront par le réseau qui relie les deux concepteurs de l’installation. La Salle des noeuds, c’est un écran vidéo, des haut-parleurs suspendus, des chaises pêle-mêle. Une installation où les fils sont apparents et la qualité de l’image délibérément imparfaite. Jocelyn Robert et Émile Morin ont réalisé eux-mêmes les programmes nécessaires au déroulement de l’installation avec la boîte à outils «Max». Par cette attitude face à la technologie, ils cherchent surtout à effectuer un «détournement du banal». Ils utilisent donc la technologie avec une sorte de simplicité volontaire. Jocelyn Robert va jusqu’à dire qu’ils travaillent contre une certaine virtuosité. Par cette approche, qui a de quoi réjouir, leur proposition se distingue radicalement des productions industrielles. «On travaille comme un sculpteur, qui en sculptant sa pièce de bois fera un oeil avec le noeud qu’il rencontre. Notre installation a été réalisée de cette manière….» C’est justement à l’égard de leur attitude face à la technologie davantage que par les sujets qu’ils traitent, que cette démarche nous semble des plus pertinentes.
Duo en réseau
Depuis plusieurs années, la chorégraphe Isabelle Choinière travaille sur la rencontre du corps réel et du corps électronique: «Je me demande comment les réseaux sont fondamentalement en train de transformer les limites corporelles», précise-t-elle. Dans la performance d’art électronique, La Mue de l’ange (du 17 au 19 février), deux danseuses situées dans autant de lieux différents entrent en interaction par le biais d’un ordinateur. Ce dernier transmet l’information sur les mouvements effectués par chacune d’entre elles. L’image vidéo projetée simultanément lors de la performance d’Isabelle Choinière sert de relais. Par l’intermédiaire d’un corps électronique, chacune réagit aux gestes de l’autre et la musique de Thierry Fournier participe à cette improvisation structurée. Une musique qu’il compose, avec le «minimum de machine», comme il l’écrit, à partir des respirations, du son des gestes, des résonances de l’espace, des feed-back, émis par la danseuse. Ce rapport particulier avec la technologie crée une démultiplication du corps, en corps sonore, réel, lumineux et synthétique. Pour Isabelle Choinière, le rapport avec la technologie change la manière dont on entrevoit les outils de création: «C’est impossible de faire le tour de toutes les possibilités technologiques. Il faut donc vivre avec cette insécurité constante. Il faut être disposé à redécouvrir constamment de nouvelles choses. Par exemple, quand tu projettes une information sur Internet, il t’en revient 10 autres…» Démultiplications des corps et aussi des interactions dont on pourra voir les résultats lors de ses performances.
Jusqu’au 27 février
Au Complexe Méduse
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