Leon Golub : Toiles de front
Depuis un demi-siècle, l’artiste américain Leon Golub poursuit sa dénonciation de la violence, du racisme, du fanatisme et de la guerre. Le Centre des arts Saidye Bronfman présente les plus récentes réalisations de ce grand artiste.
Est-il possible de faire un art véritablement politique? Qui dénoncerait avec efficacité des situations d’oppression ou d’exploitation, garderait toute sa portée d’être opératoire malgré l’inévitable récupération par le marché? Les exemples d’oeuvres de ce genre ne sont pas si nombreux au XXe siècle. On pense bien sûr à Guernica de Picasso. Mais peut-on vraiment, maintenant, après les militantes années 60 et 70, faire réagir la société, l’amener à agir grâce à l’art?
L’artiste américain Leon Golub, né en 1922, semble toujours y croire. Il poursuit depuis l’après-Seconde Guerre mondiale sa dénonciation de la violence, du racisme, du fanatisme, de la guerre (comme celle du Viêt Nam). Et il a en effet produit, au cours de sa vie, toute une série de tableaux dérangeants, presque insoutenables, comme, par exemple, ces scènes d’interrogatoires et de tortures. Et ce ne sont pas que les sujets choisis qui permettent à l’artiste d’exprimer sa colère devant la fureur du monde. Sa méthode de travail aussi tente de nous faire ressentir cette douleur. Comme l’a écrit l’historien de l’art Stuart Horodner: «Golub peint moins ses personnages qu’il ne les moule avec de la peinture, résultat d’un laborieux processus d’application de laques et d’acryliques, puis de solvants qui en érodent la surface, qu’il regratte ensuite avec un couperet à viande (une méthode très efficace et quelque peu théâtrale!), avant de repeindre à nouveau». La toile devient alors une surface blessée, meurtrie qui donne en effet l’impression qu’elle-même «revient du front».
Avec While the Crime Is Blazing, Peintures et dessins 1994-1999, le Centre des arts Saidye Bronfman nous présente les plus récentes réalisations de ce grand artiste. Il exhibe encore des oeuvres aux sujets inquiétants. Dans Breach, un homme gisant sur le sol a les mains attachés dans le dos et semble être attaqué par un chien. Dans Prometheus, on voit le mythique héros Prométhée soumis à la souffrance éternelle de se faire dévorer le foie (qui repoussait sans cesse) par un aigle. Les compositions sont fragmentées à l’extrême, montrant souvent des corps fragmentés (comme l’extraordinaire Dionysiac) avec des taches de couleurs vives éparpillées par-ici et par-là. Cela accentue le malaise du spectateur qui a du mal à donner un sens cohérent au chaos du monde représenté. Parfois, cela à un côté un peu trop années quatre-vingt. Plusieurs artistes de la nouvelle figuration de cette époque ont, à l’évidence, des liens avec la peinture de Golub. Pensons, par exemple, à Basquiat.
Toutes les pièces ne bouleverseront cependant pas avec la même intensité le spectateur. Il faut dire que parfois les textures sont un peu plus sages et plus propres que ce à quoi le maître nous avait habitués. De plus, l’iconographie apparaît de temps à autre comme un peu simple. Est-ce en plaçant, ici et là, systématiquement, des crânes et des squelettes que l’on parle de la mort de la manière la plus prenante? Les oeuvres de Kiki Smith ou les cadavres d’Andres Serrano angoissent bien plus. Un squelette sera toujours pour l’humain un objet bien abstrait de sa mort. Notre légère déception devant certaines pièces tient peut-être aussi à l’utilisation des couleurs, parfois trop vives, presque joyeuses, en contradiction avec les sujets présentés. Néanmoins il s’agit d’une expo à voir. Le spectateur portera une attention particulière aux dessins de l’artiste – Why me? The Escape Artist – où celui-ci fait montre d’une grand inventivité.
Jusqu’au 5 mars
Au Centre Saidye Bronfman
Atelier Circulaire
L’Atelier circulaire (situé au 40, rue Molière Est, espace 401) nous permet de voir une série de gravures que le public de Québec a déjà pu admirer lors de l’expo Rops l’an dernier. Dans un hommage à ce créateur symboliste, plusieurs artistes de Belgique et du Québec ont produit des pièces en choisissant la technique de gravure au vernis mou que le maître a utilisée au siècle dernier. La surface de ce vernis est extrêmement sensible à toute intervention, à toute empreinte, et devient presque comme une plaque photographique. Cela permet des délicatesses de textures surprenantes.
Gabriel Belgeonne, Jean-Marie Benoit, Cyril Bihain, Claude Celli, Martin Lacroix, Frédéric Penelle, Marc Séguin, Sarah V. ainsi que René Donais (qui remplit de plus le rôle de commissaire de l’expo) ont ainsi réalisé toute une série de gravures d’une grande qualité. On aime particulièrement et absolument le travail de Donais. Il a tenté par différentes manières de renouveler l’art de la gravure. Il installe, par exemple, ses oeuvres sur des machines rotatives qui les animent. Il n’hésite pas non plus à renouer avec les anamorphoses ou bien avec des usages encore plus divertissants de la gravure, se frottant de temps à autre à l’imaginaire érotique. Une gravure comme Pornokratès, présentée derrière un rideau noir que l’on doit soulever, est bien amusante. On ne vous la décrit pas. Nous vous laissons la surprise d’en découvrir le «sujet». Nous espérons, nous attendons avec impatience, de voir un jour une importante exposition de son oeuvre. On aime aussi beaucoup le travail de Marc Séguin. Il sait inventer des compositions asymétriques et des mises en pages non conventionnelles. On notera également les montages installatifs de Martin Lacroix qui se refuse à simplement mettre ses créations dans un cadre accroché au mur.
On sort de cette expo avec le sentiment que la gravure est bel et bien une des forces de l’art contemporain.
Jusqu’au 8 février
L’Atelier circulaire
À signaler
La Grande Fresque de la nuit qui occupe l’avenue du Mont Royal chaque été revient à nouveau cette année (le jeudi 15 juin, de 22 h à 2 h) dans le cadre de la 5e édition de l’événement Nuit blanche sur tableau noir. Les organisateurs de ce happening sont à la recherche de cent artistes pour créer cent fresques (éphémères) qui raconteront l’histoire du millénaire qui vient de s’écouler. Les créateurs intéressés par cet art de la rue, par «ce street-painting issu d’une vieille tradition italienne où les artistes, appelés Madonnari, reproduisaient des images de la Madone à la craie», s’informeront auprès de David Leferrière au (514) 522-3797.