Arts visuels

Antonia Hirsch : L’art du goût

À l’instar du philosophe français Michel Foucault, qui traquait l’infiltration du politique dans le privé, Antonia Hirsch nous invite à plonger dans une réflexion d’un genre similaire sur un produit de consommation bien ancré dans nos moeurs: le thé.

Le goût n’est plus ce qu’il était. Il n’est plus une question personnelle et privée. Récemment, le consommateur nord-américain a vu apparaître des magasins où il peut acheter un café plus «politiquement correct». On y vend un produit récolté par des travailleurs payés d’une manière plus équitable, les profits de la vente n’allant pas uniquement aux intermédiaires (comme les multinationales) qui l’exportent. Les acheteurs de ce café-là sont venus rejoindre toute une série d’autres citoyens qui ont pris conscience de l’impact social et politique de leur rapport à la consommation et à leur mode de vie. Pensons aussi aux gays qui, depuis les années quatre-vingt, ont tendance à dépenser leur argent dans des compagnies «amies».

À la Galerie Verticale, l’artiste vancouvéroise Antonia Hirsch nous invite à plonger dans une réflexion d’un genre similaire sur un produit de consommation bien ancré dans nos moeurs. Le thé (comme le tabac) fut perçu par beaucoup comme une fantaisie passagère. Comme quoi il faut se méfier de cette idée de mode… Cette boisson introduite en Europe au XVIIe siècle a eu néanmoins des implications politiques. Rappelons que la taxe sur le thé (Tea Act) de 1773 dans les colonies américaines cristallisa les forces d’une révolte qui mena à la révolution. Le thé fut l’un des symboles de la puissance coloniale anglaise.

Hisch joue sur une idée chère au philosophe français Michel Foucault, qui traquait l’infiltration du politique dans le privé. Dans Empire Line (constituée d’une grande photo sur laquelle est projetée une petite image vidéo), elle démontre comment le colonialisme s’est répandu dans nos moeurs. Une robe de style Empire (que l’on peut voir à l’entrée de la Galerie) composée de sachets de thé est portée par une femme qui lentement entre dans une étendue d’eau lumineuse (dans les mers du Sud?). Autour d’elle, une tache de couleur vient nous dire que son vêtement est constitué de thé.

Comme le dit le communiqué de presse, c’est à la fois comme une souillure, le signe que nos corps sont entachés par le politique, et en même temps un rite de purification (presque comme un baptême). Hirsch réussit à nous parler de cela sans être trop didactique et en nous faisant bien ressentir la séduction présente dans cette structure.

Bien sûr, depuis Duchamp, nous savons combien le costume est un lieu de pouvoir et de séduction. Avec sa Mariée mise à nu par ses célibataires, il a ri avec nous de ces différents habits (de policier, de livreur… ) qui attirent le regard. Néanmoins, le vêtement est de plus en plus une problématique importante en art contemporain. Vanessa Beecroft avec ses «défilés» de mode (au ralenti, avec ces filles mannequins ou ces gars de la US Navy) transforme le costume comme moyen de contrôle de la société sur l’individu en un instrument de pouvoir, de déconstruction et d’analyse sociales. La robe, en particulier, semble être devenue l’un des symboles d’une interrogation sur les liens entre femme et société. On pense à la Wedding Gown de Robert Gober; à la robe de viande (Vanitas) de Jana Sterback; ou même à la Little Black Dress de Cathy Daley que nous avions vue lors de l’expo Entre corps et âme en 1998. Hirsch s’inscrit avec intelligence dans toute cette tradition artistique importante. Nos habitudes de vie semblent du coup bien moins anodines.
Jusqu’au 25 mars
Au Centre d’artistes pour femmes La Centrale

FIFA
C’est reparti. Comme chaque année le Festival international du film sur l’art (FIFA) nous convie – du 14 au 19 mars – à son marathon d’oeuvres cinématographiques ayant l’art comme sujet. Quoi voir de ses 170 films provenant de 25 pays? Cette année, on a surtout droit à un survol «des grands bouleversements qui ont eu lieu dans le domaine de l’art au cours du 20e siècle», signale René Rozon, directeur du FIFA. On regrettera que dans cette programmation il n’y ait pas plus de films sur l’art contemporain. Le genre des films sur l’art semble toujours aussi frileux et conservateur. Espérons que nous aurons quelques surprises…

Je vous conseille, toutefois, Qui êtes-vous Pipilotti? de Christian Karcher, qui nous préparera à la très attendue exposition de Pipilotti Rist au mois de mai au Musée des beaux-arts. On sera aussi assez intéressé par une sélection de films en hommage au galeriste Leo Castelli, mort l’an dernier. Treize films nous permettront d’avoir un panorama de l’écurie Castelli. Parmi ceux-ci notons: Claude Berri rencontre Leo Castelli, marchand d’art; Andy Warhol; Jasper Johns: Ideas in Paint; Roy Lichtenstein; Robert Rauschenberg: Inventive Genius et Abstract Beauty: The American Artist Ellsworth Kelly. Le FIFA nous promet deux raretés, avec des performances de Claes Oldenburg (Injun/Dallas) et de Robert Rauschenberg (Linoleum).

Le Festival est présenté au Musée des beaux-arts, au Musée d’art contemporain, au Centre canadien d’architecture, au cinéma ONF, ainsi qu’au Goethe-Institut et à la Cinémathèque québécoise.
Du 14 au 19 mars
Voir calendrier Événements

Le crime ne paie pas
Vous avez jusqu’à samedi pour vous rendre au Centre Copie-Art afin d’examiner les traces des méfaits d’un artiste que l’on pourrait qualifier d’anarcho-postmoderne: Mathieu B. (pour l’instant nous le désignerons ainsi pour garder son anonymat) y expose son entreprise d’infiltration et de contestation du système économique. Le militant qui sommeille en tout spectateur du milieu de l’art se rappellera que Mathieu B. se sert des billets de banque pour véhiculer un message («Survival Virus de Survie») qu’il imprime à l’aide d’un tampon encreur avant de les remettre en circulation. Comme dans toute entreprise qui s’occupe de notre argent, Mathieu Beauséjour (oups!) rend des comptes publics chaque année. Sur les murs du centre, on pourra lire les numéros des billets ainsi mutilés par l’artiste. Ils sont inscrits comme sur du papier carbone. L’argent y est associé à la saleté, à une encre qui tache les doigts. Des textes parus dans les journaux sur l’argent – comme cette amusante nouvelle d’un adolescent qui a falsifié (avec son scanner, son ordinateur et son imprimante maison) le billet de cent dollars américains seulement une semaine après sa mise en circulation) ou bien cette copie de la loi sur les infractions relatives à la monnaie – ponctuent le tout avec ironie. On aime bien.

Jusqu’au 11 mars
Au Centre Copie-Art ( 813, rue Ontario Est)