Musée Beaubourg : L’air du temps
Avec le MOMA à New York, Beaubourg est l’un des hauts lieux de l’art moderne et contemporain au monde. Après deux ans de fermeture, le Musée vient de rouvrir, à la grande joie des amateurs d’art parisiens. Notre journaliste rend compte d’une récente visite.
On attendait ce moment avec impatience. À Paris, le Centre Georges-Pompidou (Beaubourg) a rouvert ses portes, en janvier, après deux ans de travaux évalués à 576 millions de francs (environ 130 millions de dollars). Il faut dire que cette institution constitue, par ses collections et expositions temporaires, un des hauts lieux de l’art moderne et contemporain au monde. C’est aussi un succès auprès du public. Près de 17 millions de visiteurs y circulent chaque année. Parmi ceux-ci, 2000 personnes (avant les travaux) fréquentaient les étages réservés à la célèbre collection permanente chaque jour. Depuis janvier, ce nombre est passé à 4000! C’est tout dire. Beaubourg – inauguré en 1977 – est l’un des plus forts symboles de notre époque qui, comme le titrait récemment le New York Times, est sans aucun doute «l’Âge d’or des musées».
Le temps, vite
Pour sa réouverture, Beaubourg présente une monumentale exposition sur la notion des temps. Tous les domaines du savoir, dont les arts, s’y trouvent interrogés. Voilà une expo dans l’esprit d’un décloisonnement très à la mode en France depuis quelques décennies. Les Immatériaux (montée par Lyotard) en 1985 en était un exemple.
Certes, on pourra trouver à redire sur tel aspect ou tel détail, sur la quasi-absence de certaines idées ou phénomènes (comme la méthode de régulation des naissances Kiusaku Ogino, l’invention de l’adolescence, le temps de travail, le temps de sommeil, l’invention de la science-fiction…). Mais il n’en reste pas moins que ce type d’expo est essentiel. Tout comme Cosmos qui a eu lieu l’été dernier à Montréal, cet événement déborde avec intelligence du cadre habituel des expos monographiques ou bêtement centrées sur une époque. C’est une étrange expérience que de passer d’une Clepsydre égyptienne aux portraits illustrant la pousse des cheveux de Gordon Matta-Clark, en passant par une vanité de Cindy Sherman. Les époques s’y mélangent, la grande culture y rencontre la culture populaire (celle, par exemple, des calendriers). L’inventivité présente dans cette expo a culminé dans la lecture intégrale d’À la recherche du temps perdu de Proust par cinquante écrivains. Ce moment fort n’était pas sans rappeler une performance de Rober Racine…
Le musée
Si la réouverture de Beaubourg revêt une grande importance, c’est aussi de par la réinstallation de sa collection permanente. Un tel exercice est toujours comme une forme ponctuelle de réécriture de l’histoire de l’art. Cela permet de humer l’air du temps (dans le domaine des arts). Le choix des oeuvres présentées là (mais aussi la manière de les présenter) aura à plus long terme un impact à travers tout le milieu de l’art. Quels sont les artistes et courants présents? Quels sont les absents?
Comme l’a noté Catherine Francblin (dans Artpress), l’exclusion de l’art minimal, même momentanée (on nous promet son retour l’an prochain), a de quoi surprendre. Surtout que cette forme d’art est l’une des principales références des artistes actuels. C’est d’autant plus choquant que certaines oeuvres exposées auraient pu ne pas l’être. Par exemple, les tableaux (des années 80) du Français Alberola, qui ne furent jamais très bons, et qui ont de plus très mal vieilli. Côté art actuel, le spectateur risque aussi d’être déçu par la pièce Feature Film de Douglas Gordon qui est loin d’être convaincante. En gros plan, on suit un peu trop simplement la gestuelle corporelle d’un chef d’orchestre dirigeant la musique du film Vertigo d’Hitchcock…
D’autres aspects de cet accrochage sont heureusement plus satisfaisants. Il faut remarquer que certains artistes y trouvent une forme de consécration ou tout au moins de revalorisation tout à fait justifiée. Parmi eux, quelques Canadiens, dont Jeff Wall et Jana Sterback (avec encore sa Vanitas: robe de chair pour albinos anorexique). On adorera le panneau consacré à l’exceptionnel travail de la photographe américaine Diane Arbus, qui ne fut pas toujours reconnue à sa juste valeur. On constatera aussi la présence de créateurs français devenus des incontournables. Bien sûr, César a sa place. Mais Ben Vautier aussi. Cet artiste dont le travail apparaît, avec le temps, encore plus pertinent… par son impertinence, est représenté par son Magasin qui trône presque à l’entrée. Le visiteur notera aussi l’importance réservée au peintre allemand Gerhard Richter. Une salle entière avec cinq grands tableaux lui est consacrée (seul artiste plus contemporain à recevoir un tel hommage). C’est l’occasion d’examiner sa dextérité picturale. Quoique devant Chinon, paysage peint avec un flou photographique, on ne saurait oublier ce qu’il y a aussi de nostalgique et de conservateur dans une bonne partie de sa production.
On appréciera également beaucoup cette idée d’avoir demandé à un artiste contemporain de choisir une série d’oeuvres pour organiser une salle. Fabrice Hybert a fait un accrochage très serré (proche pour lui d’une pensée qui zappe) avec des choix bien pertinents. On y retrouve Barbara Kruger (What Big Muscle You Have) qui s’oppose au Selfportrait in Drag de Mapplethorpe… Le visiteur aimera aussi beaucoup la présence d’une salle qui permet de consulter la collection des vidéos du Musée. On peut y voir, par exemple, J’aurais dit Glenn Gould de Rober Racine. Cet espace qui attire de nombreux visiteurs pourrait servir d’exemple à plusieurs musées d’ici…