Textes furtifs : L’art est vivant
C’est avec grand plaisir que les amateurs d’art liront l’ouvrage Textes furtifs de la critique Lise Lamarche publié dans une nouvelle collection, Lieudit, dirigée par Louise Provencher et consacrée aux arts visuels.
Ce n’est pas tous les jours, au Québec, que vient au monde une nouvelle collection de livres dédiée aux arts visuels. Que celle-ci amorce ses activités avec une auteure aussi captivante est chose encore plus rare. Si on ajoute le fait que cet écrit est consacré uniquement et passionnément à la sculpture, on frôle alors l’exception. C’est donc avec grand plaisir que les amateurs d’art liront l’ouvrage Textes furtifs de Lise Lamarche, dans la collection Lieudit dirigée par Louise Provencher, et diffusé par le Centre de Diffusion 3D (qui s’occupe de la parution de la revue Espace consacrée elle aussi à la sculpture).
Lise Lamarche est loin d’être une inconnue dans le milieu de l’art. Sociologue et historienne de l’art, professeure à l’Université de Montréal, elle est une force active du monde de l’art au Québec, remarquablement présente (et pas toujours furtivement) dans tous les événements importants. Récemment, en décembre dernier, on a pu, par exemple, l’entendre lors de l’important colloque Qu’en est-il des lieux de la sculpture aujourd’hui?
Dans son livre, on aura d’ailleurs le plaisir de pouvoir enfin lire quelques-unes des conférences qu’elle a données et qui ne furent jamais publiées. Sa recherche sur les aventures rocambolesques de la scandaleuse sculpture La Famille, de Robert Roussil (oeuvre qui fut enfermée en prison à cause de l’indécence de certaines parties de son nu masculin!) représente un jalon essentiel pour mieux comprendre l’histoire de l’art au Québec à la fin des années 40. Cela permet d’étoffer grandement notre vision de cette époque en dehors de l’important Refus global qui n’était cependant pas l’unique phénomène artistique d’alors.
Lamarche s’interroge souvent sur sa pratique de critique et d’historienne de l’art, sur les limites de ces disciplines. En dehors de l’imposante quantité d’informations qu’elle nous donne sur l’histoire de la sculpture au Québec (depuis les années quarante), c’est un des grands intérêts de son ouvrage.
On apprécera le ton parfois très ironique de Lamarche. Par exemple, on adore l’humour de «Il était une fois», petit conte portant sur le territoire du milieu (de l’art), et sur la critique d’art, simple petite vis d’une construction plus imposante, à qui on reproche souvent d’être trop universitaire. On savourera aussi, par exemple, cet échange avec Michel Goulet qui nous parle d’une critique qui doit vivre avec le processus créatif complexe des artistes: «Comme d’habitude, tu ne serais prêt qu’à la dernière minute! Impossible alors de voir tes sculptures avant d’écrire à leur propos. On a beau dire qu’un critique peut faire n’importe quoi, il y a tout de même des limites!»
Avec Lamarche, la sociologie se fait chronique vivante de l’art. On a le sentiment parfois de se faire narrer une histoire par une grande conteuse. On suit alors avec plaisir le travail d’Henry Saxe, Pierre Ayot, Pierre Granche, Bill Vazan, Roland Poulin, Walter de Maria…
Nous reprocherons un seul défaut à cet ouvrage. Nous aurions aimé y trouver un index de termes et de concepts-clés importants. Cela aurait permis de mieux cerner quelques-unes des grandes lignes directrices de la riche pensée critique de Lise Lamarche qui, discrètement, s’élabore de page en page.
Le pouvoir du livre
La commissaire Florence Chantoury a réuni, au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, trois artistes qui semblent utiliser les livres simplement comme matériau brut, comme objets. Mais, en fait, ils s’interrogent plus sur sa transmutation en valeur symbolique, sur l’aura qui existe autour du papier imprimé et relié. Le livre est dépositaire d’un savoir presque mystérieux. Voilà ce que nous rappellent Vincent Bonin, Raphaëlle de Groot et Fred McSherry.
Pourquoi ce support-là détient-il cette magie-là, cet aspect presque vénérable et sacré qu’on ressent avec respect en entrant dans certaines bibliothèques? Avec L’Arène des livres, on vit comme un retour e arrière. Le livre y retrouve une aura magique, comme l’ordinateur ou le cédérom de nos jours.
Vincent Bonin a effectué des prélèvements dans des livres (de Didi-Huberman, Louis Marin…) ayant appartenu au critique et théoricien René Payant. Il a transposé, sur des plaquettes de verre, uniquement les annotations laissées par ce penseur dans ses livres déposés depuis sa mort à la bibliothèque de l’université. À ces notes s’ajoutent celles d’autres lecteurs qui, depuis dix ans, ont eux aussi interrogé ces ouvrages. La pensée critique en gestation d’un grand intellectuel qui a réfléchi sur l’art (ainsi que de lecteurs moins connus) devient elle aussi une graphie, une forme. Le travail de réflexion intellectuelle devient alors à la fois un travail d’une grande simplicité, une série d’activités répétitives (souligner, annoter, contredire, indiquer un lien référentiel…) et, en même temps, un mystère (on a du mal parfois à lire les bribes d’écriture).
Raphaëlle de Groot, dont nous avions dit beaucoup de bien, il y a un an, à propos de son expo à la Galerie Skol, ajoute ici une étape supplémentaire à son travail de détective sur le mystère des bibliothèques. Nous sommes toujours aussi fascinés par ses prélèvements d’empreintes sur les couvertures de livres. C’est comme si elle cherchait le secret de ces ouvrages et de leurs effets sur les lecteurs à travers les marques que ces derniers y ont laissées. Quelles réponses trouve-t-on aux secrets du monde dans des ouvrages comme À la recherche des extraterrestres, Dites non au stress, Comment vivre à deux? De Groot nous permet ici de consulter, sur une grande table, la totalité des livres qu’elle a interrogés. On pourra aussi examiner au microscope les traces laissées par les lecteurs.
Quant à La Virtual Library de Fred McSherry, elle est aussi bien réussie. On y trouvera un grand humour. L’artiste a déchiqueté des livres pour ensuite recomposer du papier (fait maison) et des ouvrages, à partir de ces lambeaux. Les noms de ces nouveaux volumes dépendent biensûr des livres d’origine. Cela crée des rencontres étonnantes: Banking and Erotica, locomotive & Christianity, Genetics & Cricket… Le papier a vraiment une mémoire…
Jusqu’au 13 avril
Au Centre d’exposition de l’Université de Montréal
Vues italiennes
Que l’architecture de Borromini soit fabuleuse, personne n’en doute. Que des photographes, comme le Torontois Edward Burtynsky, documentent dans le détail cette architecture est aussi une très bonne chose. Surtout quand cela permet d’illustrer avec plus de finesse et plus professionnellement le livre d’un universitaire, dans ce cas précis celui de Joseph Connors (et même si ce dernier, soit dit en passant, fut extrêmement décevant et bien en deçà de sa réputation, lors du vernissage de l’expo avec sa conférence très scolaire sur la vie de Borromini… On se serait cru dans un cours de première année dans une école d’architecture!).
Mais que le Centre canadien d’architecture expose de telles photos, sans grands commentaires ou panneaux explicatifs, sans désir d’apporter un nouveau regard théorique, cela est plus que décevant. Certes, certaines images sont en effet très réussies (comme cette contre-plongée du dôme de l’église Saint-Yves-de-la-Sapience à Rome). Elles rendent parfois très bien compte de la sophistication de l’architecture borrominienne. Mais le contenu intellectuel de l’ensemble laisse totalement à désirer. Que le spectateur ne s’attende pas à l’intelligence et à la richesse du propos (avec sa multitude de références) de l’architecte Cedric Price, qui nous avait surpris récemment dans ces mêmes salles.
Le but d’une exposition n’est-il pas d’offrir un regard nouveau sur le monde? Au CCA, on ne ressent pas une telle relecture. Nous laissons au spectateur le loisir de vérifier la pertinence de notre déception. Bien sûr, l’Italie à travers Borromini vous fera rêver. Si vous n’avez pas l’occasion de vous y rendre, alors allez au CCA.
Jusqu’au 7 mai
Au Centre canadien d’architecture
À signaler:
En février, les tableaux de Mark Mullin présentés au Centre des arts visuels nous avaient beaucoup plu. La maison de la culture Plateau-Mont-Royal nous permet d’examiner encore un plus de sa création. Sa série Candori (terme signifiant lumière de l’âme) nous permet de voir avec quelle habileté Mullin crée des effets de champs colorés. On aime aussi beaucoup la série de fusain (en noir et blanc) sur papier particulièrement bien maîtrisée. On dirait des phénomènes célestes, comme les passage d’une comète. Jusqu’au 29 mars.
Voir calendrier Arts visuels