Geneviève Cadieux / Nadine Norman : Je t’aime, moi non plus
Le Musée des beaux-arts propose une vue d’ensemble de la production de Geneviève Cadieux réalisée depuis 1993. La Galerie Lilian Rodriguez présente une (sage) exposition de l’artiste par qui le scandale arrive: Nadine Norman.
Voilà maintenant sept ans, le Musée d’art contemporain consacrait une exposition majeure à l’oeuvre de Geneviève Cadieux, une des rares artistes québécoises à avoir un rayonnement international. Ces jours-ci, le Musée des beaux-arts nous permet d’avoir une vue d’ensemble de la production que cette créatrice a réalisée depuis 1993 et que l’amateur d’art, durant ces années, n’avait pu considérer qu’à la pièce (à la Galerie René Blouin). Au MBAM, nous avons même droit à des oeuvres (tel le vidéo Paramour) jamais vues à Montréal.
Avec cette expo, Cadieuxparle de désir, d’amour, mais aussi de mépris, d’indifférence et de douleur, des relations pas toujours faciles qui lient les êtres les uns aux autres. L’artiste discute de ces problématiques en s’éloignant de ces poses affectées que nous avions pu voir, entre autres, l’an dernier chez Blouin avec le triptyque Vague. Le jeu corporel est ici plus subtil, plus réservé, même dans la représentation de situations plus tendues émotionnellement. Cela permet d’interpeller directement le spectateur. Comme si l’authenticité des émotions (dans les années 90?) se prouvait à partir d’une gestuelle plus froide.
Certaines pièces nous disent avec grande justesse l’impitoyable dureté et le mystère des séparations. Qu’est-ce qui fait que l’amour, la tendresse et la douceur qui ont existé entre deux êtres se transforment en rapport de force et en impossibilité absolue de communiquer? Toute personne qui a vécu une rupture sait comment bien souvent cela débute par l’incapacité de l’un des deux à exprimer ses émotions. Les photos intitulées Elle et Lui nous placent devant un tel mystère et nous montrent bien ce type de mésentente. Chacun des deux individus est dans un cadre séparé, se campant dans sa position. Seule une main tendue (et pas nécessairement bienveillante) traverse l’écart qui les divise. Il y a dans les dernières réalisations de Cadieux une fine sensibilité.
Nous avons été particulièrement troublés par Broken Memory (présentée à la Tate Gallery Londres en 95), qui est une pièce d’une grande force. Une structure de verre sert de caisse de résonance à des haut-parleurs. Des cris et des gémissements en sortent sporadiquement. L’ensemble apparaît comme sur le point de se briser, de voler en éclats. Voici une création exceptionnelle.
Des photos de paysages, qui font penser aux images de Jack Pierson, complètent l’ensemble. Moment d’accalmie dans la douleur? Finalement, dans les relations amoureuses, il y aurait donc de l’espoir?
Jusqu’au 2 juillet
Au Musée des beaux-arts
Femme d’influence
Il y aura bientôt un article sur elle dans la revue Playboy. Elle a subi l’ire d’un député réformiste à Ottawa qui, au milieu de la Chambre des Communes, s’est élevé contre son «travail» et les services qu’elle a osé offrir, sous le nom d’Ève, au Centre culturel canadien à Paris…
Mais qui est donc celle par qui le scandale arrive? Qui est celle qui a su titiller (différemment, il faut le dire) le comité de rédaction de Hugh Hefner, ce député canadien, ainsi que les Parisiens qui en ont vu bien d’autres?
Nadine Norman, artiste née à Toronto, qui travaille à Montréal et à Paris, fut, en 1996, lauréate du prix Pierre-Ayot. Cet hiver, dans la capitale française, avec son oeuvre Call Girl, elle a fait l’événement. Cela lui a valu une couverture de presse assez imposante (Flash Art, Beaux-Arts Magazine, Libération, Marianne et même le Time de Londres ont parlé d’elle). Son projet valait en effet le détour.
Des cartes d’affaires distribuées dans Paris invitaient les gens à prendre rendez-vous. Ceux-ci étaient accueillis par des filles, qui proposaient gratuitement à ces «clients» un service très spécialisé: elles s’offraient à parler! Certains sauteront sur l’occasion pour conclure que nous ne communiquons plus entre nous dans la société actuelle envahie par Internet, la télévision et autres intermédiaires technologiques et qu’il faut bien que les artistes pallient ce manque… On évitera à Call Girl cette lectureplutôt simplette. Si notre société hypocondriaque souffre d’un mal, c’est de se croire malade d’être moins sociale que les époques précédentes. Nous rappellerons aux détracteurs de notre monde contemporain que lorsque les gens travaillaient 12 heures par jour dans une mine ou dans une manufacture, ils avaient peu le temps d’entretenir des relations conviviales avec leurs voisins et amis… Call Girl est-elle alors une psychanalyse bon marché ou bien un jeu de rôle pour adultes?
Il s’agit plutôt d’une réappropriation très actuelle (on pense, par exemple, à Vanessa Beecroft qui fait jouer par des jeunes filles en sous-vêtements des rôles de mannequins) par des femmes de l’image et du travail de la prostituée.
À la Galerie Lilian Rodriguez, nous ne pouvons malheureusement pas voir Call Girl mais seulement une photo de cet événement. On peut cependant découvrir une nouvelle installation intitulée Pénélope. Une série de tables supportent des classeurs où sont ordonnés les résultats imprimés sur papier d’une recherche entreprise par Norman sur Internet. Elle y dresse un répertoire de toutes les pages Web ayant un lien avec le nom de Pénélope, femme d’Ulysse, symbole de la fidélité conjugale et d’une certaine force d’esprit. Que se dégage-t-il de l’ensemble de cette documentation? Pas nécessairement beaucoup de choses. On a le sentiment que ce travail n’est pas assez investi par l’artiste. Tout système de recherche, qu’il soit par le biais des anciens fichiers de bibliothèques ou des instruments de recherche électronique sur Internet, demande une lecture, une interprétation, une forme de sélection. On ne sent pas ici cette intelligente idée de réappropriation que Call Girl avait su développer.
Nous avons été plus séduits par la présentation de Nadine Norman dans la petite salle de la galerie. Une série de t-shirts (que vous pouvez acheter) pose la question de l’identité sexuelle à partir d’un sondage réalisé par Norman sur la femme moderne idéale. Sur ceux-ci, on peut lire: «Deconstruct Me Reconstruct Me» ou es lettres «DIY», ce qui veut dire Do It Yourself. Nous (femmes et hommes) sommes alors invités à incarner cette femme imaginaire en revêtant ce vêtement. Drôle et intelligent.
Jusqu’au 29 avril
Galerie Lilian Rodriguez
Voir calendrier Arts visuels
À signaler:
La première pièce de théâtre de l’artiste multidisciplinaire Rober Racine, Le Coeur de Mattingly, annoncée pour mars dernier, sera finalement en représentation du 19 au 29 avril au Musée d’art contemporain. Depuis, bien sûr, notre curiosité n’a fait que croître et nous avons extrêmement hâte de voir ce spectacle mettant en scène deux personnages, Gabriella et Oxymoron (rôles interprétés par Izabelle Moreau et Claude Gai en remplacement de Ronald Houle), qui attendent une éclipse de soleil. À voir et à attendre.