On a cru un moment, dans les années 60 et 70, que l’image de l’artiste-génie-solitaire était dépassée. Avec les happenings, le spectateur, bien plus que l’artiste, faisait l’oeuvre. On croyait que le lecteur d’un livre ou le spectateur d’une oeuvre d’art devenait, de par le processus d’interprétation, autant le créateur de cette oeuvre que l’artiste lui-même… Souvent dans le land art, les interventions dans la nature demandaient l’implication de toute une équipe de travailleurs (comme les camionneurs qui transportèrent la terre pour bâtir la Spiral Jettey imaginée par Smithson). Les intellectuels appuyaient une telle vision de la démarche artistique. Avec son Histoire de l’art et lutte des classes, Nicos Hadjinicolaou avaient même remis en question la valeur «du style de l’artiste», concept bien plus nébuleux, changeant et fragmenté que l’histoire et le commerce de l’art (en quête d’un objet, d’un «produit» et d’une qualité facilement identifiables) ont voulu le faire croire. Le style étant un concept bourgeois qui tente de masquer une prise de possession insidieuse de l’art par des enjeux politiques.
Mais depuis, avec les années quatre-vingt, nous avons eu un lot d’artistes-vedettes qui n’ont conservé de l’idée d’une production collective que le désir d’exploiter le travail d’artisans (on pense à Kostabi et à Koons). Ils ont ramené au niveau d’utopie ces projets (pas assez rentables) d’un art en relation avec la vie.
Pourtant, quelques artistes continuent à affirmer qu’ils existent (eux-mêmes en tant qu’individu ainsi qu’en tant que créateur) grâce aux liens intellectuels et amicaux qu’ils ont su créer et développer durant des années avec les autres. À la Galerie Occurrence (qui fête ses dix ans d’existence) Michel Goulet (avec la participation de la commissaire Louise Provencher) nous offre une belle équipée artistique, un morceau d’une communauté créatrice.
Goulet a élaboré une série d’échanges, de dialogues avec un groupe d’mis. À Normand Chaurette, il a commandé une pièce de théâtre d’une page qu’il a ensuite gravée sur un immense panneau de métal. À Denis Marleau (avec qui il a collaboré en scénographiant des spectacles du Théâtre Ubu), il a demandé d’investir l’espace de rencontre d’une table autour de laquelle une installation vidéo – proche de Tony Oursler – nous donne des fragments de dialogues, comme une conversation mal entendue ou mal répétée par un tiers. Pour savourer les commentaires du critique d’art Gilles Daigneault, il faut que le spectateur pédale sur une bicyclette qui génère l’électricité mettant en marche un enregistrement de sa voix. L’historienne d’art Lise Lamarche livre sa vision de Goulet et quelques autres secrets dans un abécédaire constitué d’une série de boîtes aux lettres contenant des images… Et ce dialogue se poursuit avec Denise Desautels, Peter Gnass, Denis Gougeon et Louise Robert.
Certes, certains éléments sont moins forts visuellement, comme cet ensemble de conserves retravaillées par Goulet en liaison avec une liste de mots offerts par Peter Gnass (et que celui-ci utilisait pour faire travailler ses étudiants en arts). Parfois aussi, la technologie semble dérailler, ne pas toujours répondre à nos attentes. Mais loin de gâcher notre plaisir, cela donne une humaine fragilité à l’ensemble, un aspect expérimental, qui est à l’opposé de la grande oeuvre, celle que l’on souhaite voir au musée, déjà fossilisée. L’artiste veut-il exprimer, dans tout cela, un désir de perdre le contrôle absolu sur son oeuvre?
Cette installation sculpturale, que le public parisien pourra expérimenter cet été au Centre culturel canadien, sera, cet automne, documentée par la parution d’un ouvrage aux éditions Les 400 coups. On a hâte de voir quelle forme éclatée et ouverte cela prendra.
Jusqu’au 7 mai
À l’Espace d’art et d’essai contemporain Occurrence
Les Femmeuses
Bien souvent le public curieux se demande à quoi sert l’art. « donner un sens à la vie», a-t-on souvent envie de répondre. Cette semaine, nous sommes encore un peu plus convaincu, de notre point de vue puisque grâce, aux Femmeuses, l’art servira à plus d’un égard à faciliter nos existences (en collectivité) sur cette terre.
Les Femmeuses, c’est un événement, une expo-vente qui est devenue depuis 14 ans un important rituel du milieu de l’art à Montréal. Cette année, encore une fois, avec la même générosité, 85 artistes ont fait don de 140 oeuvres qui seront mises en vente afin de recueillir de l’argent pour sept maisons d’hébergement aux noms parfois poétiques, parfois évocateurs d’un monde en désarroi (Carrefour pour Elle, La Clé sur la porte, Le Re-Source, La Maison Monet-Chartrand, Le Coup d’Elle, Maison La Source et le Pavillon Marguerite de Champlain). Dans ces résidences, on vient en aide à des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Grâce à la vente d’oeuvres d’art de femmes artistes, plus de 100 000 dollars sont amassés chaque année. Cette vente aura lieu le samedi 29 avril (de 11 h à 18 h) et dimanche 30 avril (de 10 h à 17 h) aux locaux de la compagnie Pratt & Whitney, 1000, boulevard Marie-Victorin à Longueuil.
Renseignements: 647-3929
Nouveaux talents
Trois jeunes artistes ont pris d’assaut l’espace 414 de l’édifice Belgo (372, rue Sainte-Catherine Ouest). Éric Aubertin, François LeTourneux et Marc-Yvan Poitras nous offrent certes un accrochage qui n’est pas tout à fait parfait (les artistes ont peut-être voulu trop en montrer), mais plusieurs de leurs créations valent le détour.
Les collages d’Aubertin, faits à partir de magazines des années 50, sont bien sûr dans l’esprit surréaliste et dadaïste. Mais loin de créer des figures mutantes comme ce fut souvent fait, ils jouent, au contraire, à produire des images frôlant l’abstraction. Dans la vingtaine de tableaux de LeTourneux, quelques-uns sont particulièrement réussis. Ses couronnes d’épines (à l’huile et au fusain), semblables à des vaisseaux sanguin ouverts, me semblent une idée très riche – et la plus réussie visuellement. On aimerait beaucoup savoir comment il poursuivrait une série dans cet esprit. Avec quelques autres peintures – dont sa grenade en coupe (intitulée Tête chaude) – on reconnaît, à tort ou à raison, un artiste préoccupé par une forme de douleur sourde. On aime aussi beaucoup la vidéo de Poitras Velléité no1: dodo qui met en scène un homme insomniaque, se tournant et se retournant dans son lit. Voilà un spectacle un peu triste qui nous est rarement offert de contempler à distance et qui soudainement devient drôle et presque ridicule. Ses dessins qu’il a volés à sa mère et qu’il a recopiés sur du bois sont, quant à eux, à la fois très beaux et très inquiétants. On suivra avec attention les prochaines expos de ces trois artistes talentueux._
Jusqu’au 30 avril
Édifice Belgo, espace 414
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