Rétrospective Marcelle Ferron : Libre accès
Arts visuels

Rétrospective Marcelle Ferron : Libre accès

Depuis que Marcelle Ferron a réalisé cet immense vitrail à la station de métro Champ-de-Mars, son travail est désormais à la portée des Montréalais. Le Musée d’art contemporain honore enfin cette artiste par une rétrospective majeure.

Rencontrée en entrevue chez elle la semaine dernière, Marcelle Ferron a confié une anedocte amusante. Lors d’une soirée, à la fin des années 60, elle rencontre le premier ministre de l’époque, Daniel Johnson, qui lui propose un verre: «Que puis-je vous offrir?» Certains auraient dit une bière ou un verre de vin, Ferron répond simplement: «Un métro!» Et le plus extraordinaire est que Johnson lui a tout de suite accordé ce projet. Car l’artiste a obtenu la commande de la verrière de la station de métro Champ-de-Mars!
Les politiciens de nos jours semblent avoir moins d’audace avec l’art public (quoique – qui sait? – la Grande Bibliothèque nous réservera peut-être une surprise). Pour l’instant, ce ne sont pas les récentes statues édifiées (et surtout édifiantes) de Jean Lesage ou de René Lévesque qui nous contrediront.
Depuis qu’elle a élaboré cet immense vitrail, son travail nous est tous un peu familier. Nous nous sommes tous un jour arrêtés, émerveillés, devant le champ de lumière colorée produit par les vitraux de la station Champ-de-Mars qu’elle a réalisés en 1968. Par la suite, Marcelle Ferron a ajouté à ses créations d’art public une verrière et une sculpture (qui, dit-elle, est en forme de hamac pour «attraper au vol ceux qui tenteraient de se suicider») pour le métro Vendôme; des vitraux pour le siège national du Congrès juif canadien; d’autres verrières encore à la bibliothèque de l’Université Bishop, au Palais de justice de Granby, à l’hôpital Sainte-Justine…
À la suite de Jean-Paul Mousseau, Ferron a voulu engager son art d’une manière plus active auprès de la population québécoise. Et cela, sans tomber dans le monument bourgeois aux grands hommes, ni dans la facilité d’un art plaisant et amusant comme on peut en voir des exemples sur l’avenue McGill College.
Certes, elle ne fut ni la seule, ni la première, à s’engager dans cette direction, mais l’histoire de l’art retiendra que son apport à l’art public fut un des plus brillants et des plus réussis de la seconde moitié duXXe siècle au pays. Bien sûr, il y a quelque chose d’un peu utopique dans ce désir d’avoir une influence positive, «humanisatrice» (pour reprendre une expression du critique de La Presse dans les années 50, Rodolphe de Repentigny) sur le public grâce à l’art. «Mais l’art ne produit pas un rendement à 100 %, dit Marcelle Ferron. Même si mon oeuvre est là pour un seul être humain, cela vaut la peine…»
Cosignataire de Refus global, première femme à recevoir le Prix Borduas en 1983, rebelle du milieu de l’art, artiste toujours à la recherche de la liberté de penser et de créer, Marcelle Ferron n’avait, étrangement, pas eu de rétrospective majeure de son oeuvre depuis le début des années 70. Le Musée d’art contemporain comble donc, avec une expo majeure de son oeuvre, une regrettable lacune.

Vision globale
Enfin, le public peut avoir une vision globale de sa production. Et nous ne saurions jamais assez répéter comment il est important que nos institutions mettent de l’avant nos artistes et notre culture. Si les artistes américains ont fait l’histoire ou si plusieurs artistes anglais (les Young British Artists – et ce malgré la médiocrité de la participation de certains de ses membres à un expo comme Sensation) ont une notoriété internationale, c’est grâce à l’implication des institutions de leur pays.
On pourra enfin suivre la carrière de Ferron de ses débuts, qui font beaucoup penser à Borduas, jusqu’à ses grands formats verticaux des années 80 et 90 en passant par les années de 66 à 72 où elle se consacra uniquement à l’art du verre.
La couleur tout au long de sa vie a joué un grand rôle. C’est d’ailleurs ce qui, dans ses oeuvres de jeunesse, fait la différence majeure d’avec le style de Borduas. Elle avait alors une «affection particulière pour le rouge», confie-t-elle avec un sourire. Car cela évoquait le communisme, même si, de son propre aveu, elle n’avait pas une idée très précise à l’époque de ce que cet idéal politique signifiait vraiment.
Mais Marcelle Ferron avait déjà ne conscience sociale forte, qu’elle avait développée, entre autres, à lecture de Balzac et de Zola, et aussi grâce à l’influence de son père qui était très progressiste. Venant d’une famille bourgeoise éclairée, elle n’hésitait pas alors «à aller voler des tubes de peinture pour ses amis dans des magasins comme Morgan’s» (La Baie), où elle fut d’ailleurs arrêtée une fois…
N’allez donc pas dire à Ferron que le Québec de l’époque était réactionnaire et à droite. Elle s’en prend fortement à cette vision monolithique: «Quand on présente le Québec des années 40 et 50 à quatre pattes devant Duplessis, comme on le fait parfois, je dis: mon oeil! Il y avait aussi des forces progressistes à l’époque, des gens qui se battaient pour de grandes causes sociales, des intellectuels et des artistes qui s’engageaient.»
La scénographie de l’ensemble de l’expo contribue bien à rendre compte du travail de Marcelle Ferron. Confiée à un groupe de jeunes architectes regroupés sous le nom de l’Atelier in situ, elle joue avec l’espace d’une manière très originale. Une forêt de panneaux, créant une succession de petits espaces intimistes, encadre judicieusement les petits formats de la jeunesse. Puis, vers la fin du parcours, les grands panneaux verticaux (parmi lesquels nous aurions peut-être fait une sélection un peu plus sévère) s’imposent dans l’immensité d’une salle sans aucune cloison. La peinture sans limites, libre comme l’air, s’y déploie avec force.
Cette expo est accompagnée d’un catalogue édité par le MACM et Les 400 coups, avec des textes malheureusement parfois trop courts de Rose-Marie Arbour, Louise Vigneault, France Vanlaethem et Réal Lussier (qui est d’ailleurs le commissaire de cette expo).
On profitera de cette visite au MAC pour jeter un coup d’oeil à la réorganisation des salles permanentes, présentée sous le titre de Ouvres-phares et acquisitions récentes. Il y a quelques bonnes surprises. L’achat par le MAC de la série de tableaux monochromes de Stéphane La Rue (qu nous avions admirée à la Galerie Montréal Télégraphe en février dernier) en fait partie.

Jusqu’au 10 septembre
Au Musée d’art contemporain

Contes pour adultes
Son expo La Caverne, chez Articule, en décembre dernier – nous avait particulièrement plu. Avec Dragons et dragonnes, Fabienne Lasserre nous propose une superbe installation qui, nous dit le communiqué de presse, s’inspire «d’éléments de la "basse culture", de la culture populaire en général, mexicaine en particulier».
Nous avons tellement été habitués dans la société bourgeoise à dénigrer tout ce qui n’est pas la «grande culture»; les industries du divertissement américaines ont tant édulcoré la culture de masse (et même les contes pour enfants, récupérés par Walt Disney), que nous avons un peu oublié combien cette culture populaire que l’on a souvent placée du côté des arts «primitifs» est porteuse de récits forts. Lasserre renoue avec intelligence avec eux. Légendes effrayantes, monstres apeurants, êtres hybrides nous parlent dans son travail de notre imaginaire collectif (et même planétaire). Elle en profite même pour se réapproprier et récupérer certains éléments de la culture du réconfort américain. Un Mickey changé en chauve-souris, aux allures de vampire, nous a particulièrement amusé et inquiété… Nous aimons beaucoup l’environnement hétéroclite et magique que Lasserre a su créer.
Jusqu’au 17 juin
À La Centrale

Voir calendrier Arts visuels

À signaler
Si vous passez par Chicoutimi, arrêtez-vous au Centre Le Lobe pour voir la plus récente expo de Raphaëlle de Groot. De cette artiste nous avons pu, a plusieurs reprises, apprécier l’intelligence et la sensibilité du travail (entre autres, à la Galerie Skol, au printemps 99, avec son expo Lectures). Elle vient, en résidence, de réaliser une installation intitulée Microcosme. Jusqu’au 23 juin.