D’un millénaire à l’autre : Tour de ville
Dans le cadre de l’événement D’un millénaire à l’autre, neuf artistes investissent des places publiques montréalaises. Quand la ville se transforme en galerie d’art.
Pour son événement D’un millénaire à l’autre (qui comprend aussi une série d’expos dans les maisons de la culture), la Ville de Montréal a commandé à neuf artistes des installations pour des parcs et autres lieux publics aux quatre coins de l’île. Voilà une belle occasion de faire (à bicyclette ou à pied) une promenade culturelle et de partir à la découverte de la ville. Quelques belles surprises vous attendent, chemin faisant.
L’art public – malgré son nom – semble peu concerner les citoyens. La sociologue de l’art Lise Lamarche allait même jusqu’à dire récemment, lors d’une conférence, que la sculpture publique c’est ce qu’on ne regarde pas dans une ville! Il faut dire que les statues de têtes couronnées ou de héros qui ornent nos places attirent plus souvent les pigeons que nos regards… Essayez donc de nommer le personnage qui trône au carré Phillips, juste en face du magasin La Baie, et devant lequel vous êtes probablement souvent passé? Et bien, si vous avez répondu Édouard VII, vous êtes l’exception qui confirme la règle.
Le Service de la culture de la Ville de Montréal a néanmoins décidé d’intéresser ses citoyens à l’art contemporain par le biais de sculptures publiques. Neuf artistes ont ainsi pu exposer leurs travaux en dehors du réseau habituel des galeries et des musées. Ces créateurs contemporains ont tenté de renouveler le genre et de produire des pièces captivantes pour le public.
Ces artistes se sont honorablement – et souvent même avec brio – acquittés de leur commande. Et plusieurs de leurs réalisations sont de belles réussites. Certaines mériteraient même de rester en place au-delà du mois d’octobre, comme cela est prévu. Elles complèteraient judicieusement le patrimoine urbain montréalais.
Pourtant, réaliser une oeuvre pour un espace public n’est pas tâche facile. L’art public est un domaine – un terrain, pourrait-on dire – miné par la lourdeur administrative des pouvoirs publics. Dans le passé, plusieurs créateurs, pourtant aguerris, ont eu unsuccès plus que mitigé et ont vu leurs oeuvres rapidement déplacées. Pensons, entre autres, à Richard Serra (avec Clara Clara à Paris, et avec Titled Arc à New York), à Gilbert Boyer (sa Mémoire ardente fut retirée de la place Jacques-Cartier sans trop de ménagements), sans oublier la saga des «chaises» de Michel Goulet, place Roy. Triste sort, en somme, que celui de l’art public qui ne satisfait que rarement ses subventionnaires et qui se doit de symboliser l’imaginaire collectif…
Parmi les neuf installations que nous avons visitées, certaines ont retenu plus intensément notre attention et réussissent à interpeller le spectateur avec plus de force. Commençons par la plus spectaculaire: Tête de Pont de Roberto Pellegrinuzzi. Cette oeuvre ne laissera pas indifférents les visiteurs. Le photographe a repris une des images de sa série Les Écorchés, que nous avions eu le plaisir de voir à la Galerie de l’UQAM, l’automne dernier. Le long du canal Lachine (dans sa partie la plus proche du Vieux-Port), il a installé deux immenses tirages (de 6 mètres sur 5!) sur la structure d’un pont. C’est monumental. Les couleurs presque acides de l’ensemble participent à l’atmosphère post-industrielle du lieu composé de structures rouillées et délavées. Cette installation donne un aspect encore plus dramatique à son travail. Cela fonctionne très bien. Les yeux fermés du personnage photographié prennent du coup un sens différent. On dirait qu’il se concentre pour se remémorer un souvenir ou une émotion. On a du coup l’impression qu’il est comme la mémoire du lieu.
Bien sûr, nous attendions aussi avec grand intérêt la réalisation du dynamique trio BGL (constitué, rappelons-le, de trois artistes de Québec : Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière); Les Vire-vent de BGL, constitués de dix girouettes, ont un côté un peu enfantin. On y voit des avions, un autobus scolaire… Ils trônent et tournoient au sommet de poteaux au gré des courants d’air. Le tout a un aspect très Fisher-Pice ou Lego. C’est comme un anti-monument. Léger mais amusant. Cette installation est située presque au coin des rues Émile-Journault et Christophe-Colomb, en face du Complexe sportif Claude-Robillard.
Le Parc des cimes de Gilles Bissonnet nous a lui aussi ramenés à notre enfance. Il a réalisé ce qui ressemble à une cabane dans les arbres (des tilleuls, dans ce cas précis) et, plus loin, une agora publique de fortune composée de différents bancs. C’est simple. Peut-être trop, pourrait-on croire. Or, il s’agit d’une très belle intervention dans le tissu social du quartier Villeray. Bissonnet souhaite que ces espaces servent de supports à de petites pièces de théâtre ou à des débats publics… Vous êtes donc invité à le contacter à l’adresse [email protected] afin de lui proposer une activité. Au parc Gabriel-Sagard (entre les rues Sagard et Louis-Hémon, au nord de Jean-Talon).
L’idée qui sous-tend le travail de Marc Larochelle est intéressante, bien que, au premier coup d’oeil, son installation semble un peu pauvre visuellement. De grandes structures de métal, comme les montants d’un lit, servent de supports à des phrases qui sont des confessions (dites sur l’oreiller?). On peut lire des phrases telles que: «J’ai toujours eu honte de…»; «À cause de ma timidité…»; ou encore «Je n’ai jamais aimé mon…». L’art se veut un moyen d’exprimer des douleurs intimes et sociales. Ces curieux Aveux se font au parc Beaubien, entre les 6e et 9e Avenues, et entre les rues Beaubien et Saint-Zotique.
Le visiteur pourra compléter son circuit avec L’Art de la conversation de Devora Neumark (mettant l’artiste en scène au métro Frontenac, tous les mardis, de midi à 16 h, jusqu’au 22 août); La Maison de la promenade Bellerive de Trevor Gould; Le Poids des papillons de Diane Landry; le Passage protégé, Droit de passage de Rose-Marie Goulet; et les Sept Ours de Michel Saulnier.
Finalement, le jury était composé d Serge Fisette (directeur de la revue Espace), de Michelle Tremblay (historienne de l’art, artiste et professeure d’arts plastiques au Cégep de Hull) et de Lise Lamarche (sociologue, critique et historienne de l’art, ainsi que professeure à l’Université de Montréal). Son choix d’artistes propose un panorama large et diversifié de l’art public au Québec. Un tour de l’île s’impose. Pour plus d’information vous pouvez consulter le site suivant: www.ville.montreal.qc.ca/maisons
Jusqu’à la mi-octobre