Les galeries éphémères : Fenêtres sur le monde
Art brut ou art social, voici que les vitrines de commerces du boulevard Saint-Laurent sont prises d’assaut par des créateurs québécois. Pour mieux voir le monde qui nous entoure.
Les galeries et les musées n’ont qu’à se le tenir pour dit: à Montréal, dans ce début de siècle, l’art se rapproche des gens de la rue. Ce n’est pas une mince affaire… Notre ville n’a pas qu’une belle histoire en matière d’art public. Surtout après des événements comme le démantèlement sauvage de Corridart en 76, par le maire Drapeau qui n’aimait pas le regard critique que posaient sur sa ville des pièces comme celle de Melvin Charney installée rue Sherbrooke.
Pourtant il faut le constater: ces temps-ci, la ville de Montréal semble décidée à faire descendre l’art dans la rue. Cet été, après le volet Art public de l’événement D’un millénaire à l’autre – avec ses sculptures et installations placées dans des parcs aux quatre coins de la ville – voici les Galeries éphémères qui prennent d’assaut la rue Saint-Laurent.
Une trentaine de commerçants de la Main ont accepté de prêter leurs vitrines pour des interventions d’artistes contemporains. Cela permet de faire connaître les créations actuelles à un public moins familier du milieu de l’art. C’est en tout cas le pari (et le parti) pris par le Service culturel de Montréal ainsi que par la Galerie Observatoire 4 – et de sa directrice Josette Oberson – qui s’est associée au projet.
Bien sûr, on peut se demander si l’art et le commerce peuvent faire vraiment bon ménage. Qui profite de ce partenariat? La couturière Agnés B. en France ou la vodka Absolut ont su, par le passé, s’associer à l’aura attachée à l’art contemporain. Mais, dans ce type d’échanges, les artistes doivent-ils faire trop de concessions pour plaire (ou ne pas déplaire) aux commerces et aux clients? Certains sujets (comme la mort ou la douleur), très prisés par les artistes, sont-ils moins vendeurs?
En pièces détachées
Avouons tout de suite que les interventions présentées sur Saint-Laurent ne sont pas toutes aussi réussies. Dans certains cas, néanmoins, plusieurs artistes se sont servis avec force de l’espace de la vitrine comme d’un nouveau matériauet pas seulement comme cadre de présentation.
Quelques-unes de ces réalisations exhibées sur ce boulevard autrefois connu pour ses prostituées interpellent le passant sans compromis. Christine Lebel (à la librairie Gallimard, au 3700) a installé une immense chemise de nuit largement ouverte accompagnée d’un texte «savoureux» (c’est l’artiste elle-même qui le dit) écrit sur une petite culotte. Cela commence par «Il écarta le doux feuillage de ce buisson ardent afin de s’y cacher, de s’y enfoncer au plus profond». On vous laisse le plaisir d’aller découvrir la suite de ce propos qui frôle le kitsch et le porno.
Caroline Hayeur (au 3521, chez Mosquito) présente une photo intitulée Hôtel Motel, très proche des images de mode. Découpés en morceaux, ses éléments sont attachés les uns aux autres par des anneaux or qui donnent à l’ensemble un petit côté ceinture Gucci ou sac Channel. L’art inverse ici le rapport habituel avec le commerce. En liaison avec la mode, il lui vole un peu de son glamour.
Les fusains sur papier de Pier Chartrand occupent toute la vitrine de la Boucherie générale dans la Petite Italie (au 6908). Ils nous montrent des animaux morts et suspendus comme après la chasse. La viande bien abstraitement découpée est ainsi ramenée à la réalité de ses origines. C’est intelligent en plus d’être très fort visuellement.
Philippe Corriveau (au 4423) a entrepris quant à lui une archéologie du boulevard Saint Laurent. Il a recueilli «les artefacts urbains abandonnés sur le trottoir» et les présente comme «source d’information sur la vie sur le Boulevard». Les déchets de la ville (des assiettes de papier, un enjoliveur Volkswagen, une botte de cow-boy…) nous parlent de la faune de ce quartier qui ne dort jamais. Le tout est installé comme dans un de ces anciens cabinets de curiosités qui recelaient des objets de grandes valeurs.
Quant à l’intervention de Gilles Morissette sur de grands panneaux de tissu (Latitude Nord, au 4410), elle est dignede Ben Vautier qui a su tout au long de sa carrière interpeller le public d’une manière forte et intelligente à la fois. Morissette nous offre une réflexion sur l’art que nous aimons beaucoup. On peut lire sur un de ses tissus que «L’art est un rituel que l’artiste s’impose à lui-même pour changer sa vie». L’art y devient un exemple de vie pour nous tous? Intéressant.
On ira aussi faire du lèche-vitrine, devant le travail d’Yvon Goulet (à la librairie L’Androgyne au 3636); de Christine Brault (chez Tonic, au 3613); de Bernard Gamoy (à La Godasse, au 3686); de Jean-Louis Émond (chez Montauk, au 4404); d’Ève Cadieux (chez No-l-ita, au 6786); de Suzanne Cloutier (chez Mimi & Coco, au 6717); de Marisa Portolese (Chez Cigare & Compagnie, au 6981)…
Pour plus d’information: (514) 866-5320
Jusqu’au 6 octobre. Tout le long du boulevard Saint-Laurent
entre Sherbrooke et Jean-Talon