Les Identités flottantes : Combattre sous les drapeaux
Depuis 1991, le collectif Attitudes d’artistes, formé de Jacky G. Lafargue et Louis Couturier, crée un art public prenant d’assaut la rue avec un contenu parfois incisif. Décidément, l’art public a le vent dans les voiles à Montréal.
Quoique leur nom ne vous dise peut-être pas grand-chose, le collectif Attitudes d’artistes vous est certainement familier. Depuis 1991, les artistes Jacky G. Lafargue et Louis Couturier, qui travaillent sous cette dénomination, créent un art public prenant d’assaut la rue avec un contenu parfois incisif. En 1997 (parrainés par la Galerie Quartier Éphémère), ils avaient placardé des affiches rues Saint-Denis et Mont-Royal. Ils y effectuaient une forme de détournement, presque parodique, des images publicitaires. L’esprit de Barbara Kruger, qui s’approprie le langage et les moyens techniques de la publicité, n’était pas loin.
Ces jours-ci, Lafargue et Couturier, qui n’en sont donc pas à leur premier combat social et politique (au sens large du terme), ont choisi le Marché Bonsecours comme lieu d’action. Cette fois, c’est un emblème important pour les nations, le drapeau, qu’ils ont décidé de déconstruire par leur art contestataire.
En collaboration avec la Galerie Vox, ils ont conçu sept grandes bannières qui, parfois, reprennent des éléments des drapeaux canadien, québécois ou français. L’ensemble parodie et détourne de leur sens premier ces symboles nationaux que l’on peut d’ailleurs regarder pas très loin. Sur les quais du port de la ville (que l’on voit très bien des terrasses du Marché Bonsecours), on peut contempler l’unifolié se balancer au gré du vent, tout comme on peut, quelques rues plus loin, apercevoir le drapeau de la Ville de Montréal trônant devant la mairie.
Mais les drapeaux d’Attitude d’artistes ne sont pas là pour valoriser une identité nationale ou citadine forte et stable. Leur installation s’intitule Identités flottantes et elle souhaite parler d’immigration, de perte d’identité, de reconstruction de l’image de soi, de racisme, d’intégration…
Sur ces étendards hybrides et inventés de toutes pièces, les artistes ont placé des portraits d’individus (parmi lesquels on reconnaît l’homme de théâtre Wajdi Mouawad) qui ramènent ces symboles nationaux à la réalité très spécifique des êtres qu’ils représentent. Des phrases percutantes – comme de nouvelles formes de devises – les accompagnent. À côté d’un individu noir, on peut lire, par exemple: "Je serai toujours un français de seconde zone"!
C’est efficace, même si on peut émettre quelques réserves sur le choix du lieu, le marché Bonsecours écrasant visuellement les créations. Ces drapeaux auraient eu avantage à être plus imposants pour jouer encore plus sur la grandeur de l’esprit national et surtout pour capter plus fortement l’attention des passants… On a parfois du mal à lire les textes apparaissant sur ces banderoles.
Bien sûr, ce désir de dévoyer l’usage habituel du drapeau n’est pas une chose nouvelle en art. Pensons à la série de drapeaux américains plus ou moins salis de Jasper Johns; au drapeau transformé en serviette de bain dans certaines pièces de Wesselmann ou encore aux drapeaux rayés de Buren, simples symboles du domaine de l’art, qui pavoisaient il n’y a pas si longtemps encore rue Sherbrooke. Néanmoins, Attitudes d’artistes s’en tire bien et renouvelle le genre avec allure.
Décidément, l’art public a le vent dans les voiles ces temps-ci à Montréal. Après les parcs occupés par des sculptures dans le cadre D’un Millénaire à l’autre, les Galeries éphémères boulevard Saint-Laurent, ce projet montre comment l’art veut de plus en plus le public en dehors des galeries et des musées.
Une version de cette expo portera les couleurs de l’art d’ici au Centre culturel canadien à Paris, dès le 5 octobre. Un catalogue sera alors réalisé.
Jusqu’au 22 octobre
Au Marché Bonsecours (sur la façade donnant côté fleuve, rue de la Commune)
Ouvre de mémoire
Il vous reste seulement jusqu’à vendredi pour aller voir l’installation de Yehouda Chaki à la Galerie Liane et Danny Taran au Centre Saidye Bronfman, intitilée A search for the missing. Le titre de cette expo s’inspire d’un bulletin d’informations régulièrement diffusé sur les ondes de la radio en Israël et à l’aide duquel des individus tentaient désespérément de retrouver des proches après l’holocauste. L’artiste qui, à travers sa mère, a vécu la recherche de ses oncles et de son grand-père tente ici de tracer des portraits fictifs de ces disparus. Près de 300 tableaux les représentent. Au milieu de ce monument aux morts, 300 livres peints, rappelant ces ouvrages que les nazis ont brûlés. Le tout est accompagné d’une voix enregistrée qui sans cesse continue de rechercher des survivants. C’est poignant, même si ce n’est pas si fort visuellement.
Jusqu’au 15 septembre
Au Centre Saidye Bronfman