Delphine et Michel Herreria : Art de combat
Arts visuels

Delphine et Michel Herreria : Art de combat

Les artistes français Delphine et Michel Herreria, dont on peut voir pour la première fois en Amérique le travail à la Galerie Clark, pratiquent un art "contestataire" pour dénoncer l’aliénation des citoyens des sociétés démocratiques.

Dans les années 60 et 70 beaucoup d’artistes ont dénoncé, malgré l’apparence de liberté de nos sociétés occidentales démocratiques, l’aliénation de leurs citoyens. Quoi que l’on puise penser, ce ne serait pas nous qui façonnerions la société et le pouvoir mais plutôt l’inverse…
Les artistes français Delphine et Michel Herreria, dont on peut voir pour la première fois en Amérique le travail à la Galerie Clark, s’inscrivent dans cet esprit de dénonciation. Seulement de nos jours, on ne parle plus d’art contestataire ou révolutionnaire. Ça sonne vraiment trop communiste. Et qui voudrait maintenant sur le marché international (entendons "américain") revendiquer une idéologie de gauche trop marquée? On discute maintenant, à la suite aux écrits du critique français Nicolas Bourriaud, d’esthétique relationnelle.
Les liens entre les êtres humains, mais aussi entre la société et ses individus devient le sujet de l’art.
La Galerie Clark est remplie d’objets hétéroclites: dessins montrant des êtres hybrides, costumes de super-héros et de super-héroïnes, éléments disparates non clairement identifiés mais qui ont quelque chose d’organique; tous ces éléments parlent des forces du pouvoir parfois invisibles mais pourtant très tangibles qui s’emparent de nos êtres… Dans ces différentes représentations, le corps est exhibé comme envahi par le monde extérieur ou encore comme affublé de prothèses et autres protubérances qui font penser à des instruments de torture. Les êtres ainsi dépeints semblent dépossédés de leur corps.
Cela ne tombe pas nécessairement dans une dénonciation trop simpliste ou généraliste. La présentation de l’ensemble ne dégage pas une atmosphère de parti politique mais plutôt une ambiance intime presque festive. La Galerie fait plus penser à une chambre d’adolescent ou à une salle de party qu’à une cellule underground de révolutionnaires prêts à tout faire sauter. Comme chez Bourriaud, il y a ici un désir de s’inspirer des philosophes Deleuze et Guattari pour qui le pouvoir se déconstruit à un niveau micro-politique d’une manière plus insidieuse.
Les Surligneurs d’espace(s) des Herreria sont en fait très proches de l’esthétique des soirées du Groupe Udo qui, l’an dernier, en octobre, toujours chez Clark, nous posaient l’air de rien des questions sur nos comportements sociaux. Le travail de Massimo Guerrera n’est pas non plus très loin. Surtout dans les dessins dignes héritiers des corps torturés de Francis Bacon. Dans les dessins et photos des Herreria, de courtes phrases (parfois énigmatiques) laissent transparaître leur esprit politisé. On peut y lire : "On aime se manipuler l’opinion", "Discours sans racine", "Deuxième peau", "Régulateur de tristesse"…
On n’a pas fini de vous parler de ce type d’art puisque le phénomène prend une grande importance à Montréal. Après cette expo chez Clark, la Galerie Skol inaugure une année entière dédiée aux pratiques relationnelles qui vient de débuter avec un environnement d’Iwona Majdan… À suivre donc.

Jusqu’au 15 octobre
À la Galerie Clark

Mini-rétrospective Serge Tousignant
Le travail de Serge Tousignant est à l’honneur ces jours-ci. Depuis la rétrospective de 94 présentée au Musée des beaux-arts (en provenance du Musée de la photo à Ottawa), on avait rarement pu voir autant d’éléments de la production de cet artiste qui interroge l’art comme lieu d’illusion.
Cette fois-ci, la Galerie Graff et le Centre d’exposition de l’Université de Montréal ont mis l’accent sur les coulisses de sa production.
Maquettes et autres études pour ses photos, sculptures et pliages (souvent réalisés) depuis la fin des années 60 sont à l’honneur. On y rappelle comment cet artiste, qui depuis le début des années 70 s’est consacré principalement à la photographie, a eu une pratique multidisciplinaire d’une grande richesse. Ses pliages des années 60 se font sculptures et vues architecturales axonométriques… Quant aux sculptures, comme dans l’ extraordinaire jeu visuel coloré de Guillotine, elles se font peintures. En un mot, c’est un art de la métamorphose.
Ces deux expos sont une occasion de voir les études pour des projets importants comme les Géométrisations solaires ou les Coins d’atelier. C’est un art qui pour le grand public peut faire penser aux illusions visuelles du graveur Escher et qui a une parenté avec les pièces de Georges Rousse. Mais c’est du Tousignant original. Chaque maquette est une surprise et une belle invention. On préférera l’expo du Centre de l’Université de Montréal (qui s’achève dimanche) parce qu’elle offre un panorama plus vaste de son art.

Jusqu’au 7 octobre
Galerie Graff
Jusqu’au 24 septembre
Centre d’exposition de l’Université de Montréal

Robbin Deyo
En février dernier, nous vous avions dit notre fascination pour plusieurs de ses tableaux de cire présentés au Centre des arts visuels. Robbin Deyo est de retour avec de nouvelles pièces à la maison de la culture Côte-des-Neiges. Et là encore, la magie se produit. Plusieurs des créations de Wallflowers nous ont totalement séduits.
Le travail méticuleux de Deyo avec ses fines imbrications de couches de cire, qui demande une grande habileté technique, digne de celle des abeilles cirières, nous surprend chaque fois que nous le voyons. Son installation murale composée de 8000 fleurs qui ressemblent à des fondants au sucre (autant dans les couleurs que dans les textures) est bien savoureuse. Tout comme plusieurs de ses tableaux produits avec des moules à biscuits ou à gâteaux.
Nous émettrons cependant une réserve générale. Ses tableaux sont le plus réussis lorsque la recherche formelle l’emporte sur l’aspect kitsch des motifs utilisés. Ainsi, si Counting the Days (avec ses tournesols) nous semble trop clairement pop art, op art et kitsch, les autres tableaux (comme Thinking of You), où la texture de la cire attire en premier lieu le regard, évoquent l’esthétique de légèreté très branchée et trop vue depuis les années 80.
Malgré ce léger défaut, présent dans quelques pièces, c’est une expo à voir. Pour le plaisir. Pour perdre son regard dans les épaisseurs magiques des surfaces cireuses. Pour réfléchir sur la peinture comme jouissance des sens. Au moment où la notion de beauté revient en art (peut-être parfois d’une manière réactionnaire), entre autres dans des expos internationales, il est bon de voir une création se servant de la séduction comme outil de réflexion sur la place qu’occupe le plaisir dans les arts visuels. En ne tournant pas le dos aux acquis de l’art abstrait.


Jusqu’au 24 septembre
À la maison de la culture Côte-des-Neiges
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