Zone : Toucher du regard
La toute nouvelle installation interactive de Françoise Lavoie-Pilote, présentée ces jours-ci chez Oboro, s’inscrit avec élégance, dans la liste de création intelligente proposée par cette galerie.
La Galerie Oboro a su au cours des années nous proposer quelques-unes des meilleures installations interactives à Montréal. On se souviendra, par exemple, de la remarquable pièce tactile de Thecla Schiphorst au printemps 1999. Intitulée Bodymaps: Artifact of Touch, cette création réagissait sensuellement à nos caresses et à la chaleur de notre corps… L’intervention de David Rokeby, The Giver of Names, en 1998, malgré ses limites, était elle aussi bien séduisante avec toute sa ribambelle de jouets pour enfants et de toutous en peluche.
La toute nouvelle à être présentée ces jours-ci chez Oboro, Zone de Françoise Lavoie-Pilote, s’inscrit avec élégance, malgré quelques défauts, dans cette liste de création intelligente.
Pourtant, l’installation interactive est un genre artistique miné qui déçoit très souvent. La technologie y occupe une telle place que le propos qu’elle est censée véhiculer et mettre en valeur apparaît très fréquemment secondaire. La fascination pour les bébelles technologiques fait parfois oublier aux créateurs que le médium est un moyen d’expression plus qu’une finalité en soi. On se rappellera la banalité de Rendez-vous sur les bancs (de Monique Savoie et Luc Courchesne), installation placée devant le Musée d’art contemporain et qui récemment mettait en communication les gens de Montréal et de Québec…
Françoise Lavoie-Pilote a, quant à elle, bien réussi à créer une atmosphère poétique (frôlant parfois la nostalgie) en utilisant ce médium des nouvelles technologies.
Dans Zone, elle raconte d’une manière onirique la vie de trois femmes d’une même famille. Le spectateur accède au parcours de ces vies grâce à une interface sur écran (pas toujours de manipulation facile – mais on s’y fait au bout de plusieurs minutes). Trois dates (1960, 1970, 1980) symbolisent ces trois expériences de vie.
On appréciera particulièrement la complicité entre la musique et la narration qui est très réussie et parfois vibrante sans pour autant tomber dans le montage filmique ou la grandiloquence du cinéma américain. On dénote dans cette création de Lavoie-Pilote une justesse et une simplicité de ton remarquable, qui donne un fort sentiment d’intimité.
Le tout n’est pas sans faire penser à certains moments à Zoe Beloff, et à Beyond, cédérom interactif présenté chez Vox à la fin 1998. Elle aussi réussissait à utiliser avec justesse un ton poétique.
On regrettera cependant les culs-de-sac narratifs que l’on rencontre souvent en se promenant dans cet univers virtuel. L’artiste aurait pu facilement créer des ponts supplémentaires entre les différentes parties de son système afin de rendre la visite plus agréable. Souvent la magie poétique, qui demande un rythme sonore et visuel bien particulier, est interrompue par de telles impasses. La nature onirique de l’ensemble permettait certainement de tels passages et connexions supplémentaires sans pour autant briser la cohérence narrative.
Dans la grande salle d’Oboro, on profitera de cette visite pour jeter aussi un coup d’oeil au travail du Madrilène Daniel Canogar, intitulé The Obscenity of the Surface. L’artiste a transformé cette salle en une immense caverne dans laquelle sont projetés en gros plans des parties du corps, cicatrices, rides et autres morceaux anatomiques qui flottent dans l’espace. Certes, cela fonctionne bien visuellement. L’atmosphère générale de l’ensemble dégage une étrangeté percutante.
Toutefois, le propos n’arrive pas vraiment à nous toucher pronfondément. Il faut dire que le corps et ses marques sont des sujets qui ont été à maintes reprises mis en scène en art contemporain depuis une dizaine d’années et parfois avec grande intensité. Geneviève Cadieux en a fait sa marque de commerce avec efficacité. Les gros plans de cadavres d’Andres Serrano que nous avons pu voir au Musée d’art contemporain, il y a quelques années maintenant, ont laissé leurs traces sur le genre… Difficile alors de faire mieux. À moitié réussi. Dommage.
Jusqu’au 22 octobre
À la Galerie Oboro
Écran politique
L’artiste montréalais d’origine argentine César Saëz s’est pendant longtemps spécialisé dans des interventions clandestines. On se souviendra de ce réseau impressionnant d’élastique qui bloquait l’entrée du Musée d’art contemporain un beau matin de 1993. Tout comme on sourit encore de sa centaine de panneaux "condo à vendre" plantés sur les impeccables pelouses du Centre canadien d’architecture… Saëz voulait ainsi dénoncer la spéculation immobilière que certains membres de la famille Bronfman ont effectuée au détriment des artistes et de leurs ateliers souvent situés dans des immeubles convoités par le marché…
Sa plus récente intervention, Cultures et interférences, le pouvoir du spectateur, à la Galerie du Mai, se veut elle aussi une critique de notre monde contemporain. Un réseau d’écrans suspendus au plafond la tête en bas souhaite nous faire réfléchir sur la place qu’occupe "la télévision dans l’information transmise à l’ensemble de la population". Saëz dénonce ainsi le paradoxe de la culture de masse que "nous soutenons même si elle nous écrase".
On aime beaucoup l’aspect visuel de cette installation vidéo. Ce réseau d’écrans qui produit un champ de lumière n’est pas sans rappeler certaines pièces récentes de James Turrell. Voilà un détournement formel de l’écran télé qui est bien accompli même si le propos – tout à fait juste – n’est guère nouveau.
Jusqu’au 14 octobre
À la Galerie du Mai
À signaler
L’excellent photographe de l’Agence Stock, Jean-François Leblanc, présente sa nouvelle exposition Le Cirque Éloize: Moments intimes, constituée d’une trentaine d’images des artistes en coulisses. Dans le hall du Centre Pierre-Péladeau, jusqu’au 21 octobre.
Le Festival international de cinéma gai et lesbien de Montréal, Image & Nation, bat son plein cette semaine. Et le Vidéographe est de la partie cette année avec, certes, une seule séance mais qui s’annonce toutefois bien captivante.
Pour l’occasion, Jean Mailloux a sélectionné des vidéos dans lesquels une place importante est réservée "au mystère et à l’imaginaire, et du coup, au fantasme"… On ira donc voir, avec beaucoup d’intérêt et de curiosité, les créations de Rodrigue Jean, Monique Moumblow, Kevin Kelly, Frédéric Moffet, Nelson Hendricks, Robert Morin et Lorraine Dufour. Une heure trente de plaisir à ne pas rater. Le samedi, 30 septembre à 15 h 30, à l’Espace Vidéographe (au 460, rue Sainte-Catherine O, local 504). Renseignements: 866-4725