Pierre Huyghe : Sexe, mensonges et cinéma
Par le biais d’une installation vidéo présentée au Musée d’art contemporain. l’artiste français Pierre Huyghe reconstitue un légendaire hold-up new-yorkais qui a été adapté au cinéma avec Al Pacino. Surprenant.
22 août 1972. Un jeune homme, John Wojtowick, braque une banque à New York. Le vol tourne mal. La police assiège les lieux. La télé diffuse en direct la prise d’otages.
Cet événement pourrait sembler presque banal pour les États-Unis, si ce n’était le fait que l’argent que souhaitait ainsi obtenir Wojtowick – soldat démobilisé et sans le sous – devait servir à payer une opération de changement de sexe à son amant, aux tendances suicidaires, un dénommé Ernest Aron. Il le crie d’ailleurs à la police. Quand on revient du Viêt nam, on a le courage et la folie de faire bien des choses…
1975. Le réalisateur Sidney Lumet sort son film Dog Day Afternoon mettant en vedette Al Pacino. Il y reprend l’histoire de ce braquage de banque en passant évidemment sous silence l’homosexualité de son antihéros et ses motivations très éloignées des préoccupations de la classe moyenne américaine. Récupération, dites-vous?
2000. L’artiste français Pierre Huyghe réalise une reconstitution de ce hold-up en redonnant la parole à Wojtowick. Après avoir été présenté au Centre Georges Pompidou à Paris, son documentaire artistique a pris l’affiche du Musée d’art contemporain la semaine dernière.
Dans cette installation vidéo, Wojtowick – le voleur amoureux – devient presque le metteur en scène de la reconstitution de son braquage. Il y dirige les acteurs avec une main de fer… Du coup, Huyghe insiste sur un changement symbolique de rôle. Lumet devient le vrai malfaiteur qui a chapardé son histoire et sa vie à un héros méconnu.
Serait-ce alors que toute forme de création – et en particulier celle que pratique le réalisateur de cinéma – est une forme d’agression, d’appropriation, par rapport au réel et à la vie?
Ce qui est sûr, c’est que cette pièce intitulée La troisième mémoire nous parle de la distance entre la vie et la fiction. Elle tente de ramener du réel dans des récits qui occupent notre mémoire collective.
Cette idée a bien sûr une visée politique de dénonciation de l’industrie du cinéma hollywoodien et du rêve qu’elle vend. Et comme ce n’est pas tous les jours que l’on voit un art revendiquant une place plus politique, cette intervention est bien agréable. D’autant plus que le travail de Huyghe permet à un individu de se réapproprier publiquement son histoire personnelle.
Ce récit rocambolesque est captivant, même si les idées qu’il véhicule ne sont ni très nouvelles ni très surprenantes. Et un tel type de sujet n’est plus tabou de nos jours. De plus, nous n’avons pas été si ravis visuellement par cette installation. Ni d’ailleurs par celle qui lui est attenante, montrant une femme, Lucie Dolène, racontant comment elle a voulu récupérer les droits sur sa voix utilisée par Walt Disney pour incarner le personnage de Blanche-Neige.
Il faut dire que la relecture et la réappropriation du cinéma (avec parfois sa panoplie de grands écrans impressionnants), sont devenus une nouvelle tendance en art contemporain qui frôlent le maniérisme. Douglas Gordon en a fait sa marque de commerce avec des reprises pseudo-intellectuelles et prétentieuses des films de Hitchcock.
Néanmoins, Huyghe arrive à dépasser largement, grâce à son propos plus engagé, les écueils du travail de Gordon.
À voir, mais pour se faire raconter une histoire surprenante.
Muntadas
La deuxième exposition proposée par le MAC, On translation: Le public, d’Antoni Muntadas, est composée de trois installations. Dans celles-ci, ce Barcelonais qui vit maintenant à New York nous propose une analyse des liens pas toujours très nets existant entre les médias et le pouvoir ou entre les médias et le milieu de l’art… Là encore, le propos est bien réfléchi. En particulier dans Betweeen the Frames: The Forum (réalisée entre 83 et 91) où Muntadas décortique le milieu de l’art. L’ensemble des témoignages vidéo des intervenants de ce milieu forme une cacophonie où chacun semble vouloir parler le plus fort possible. Néanmoins, on se doit de dire que cette belle démonstration ne porte pas sur des idées très nouvelles. À voir pour se faire confirmer ce que l’on savait déjà.
Jusqu’au 7 janvier 2001
Au Musée d’art contemporain
Du spirituel dans l’art
Avec son expo Remue-ménage, Jean-Pierre Gauthier sait nous émouvoir. La galerie B-312, où il expose ces jours-ci, est remplie d’une multitude d’outils et de meubles qui se déplacent presque par magie. On se croirait dans une maison hantée ou dans certaines scènes du film Poltergeist!
L’ensemble des mouvements saccadés de ces objets crée une sorte de musique frôlant le chaos, proche de certaines expérimentations modernistes. Ces sons, produits comme par hasard, amplifient sur le spectateur l’effet déstabilisant constitué par la mouvance arbitraire de tous ces objets dans l’espace. Du coup, on a presque peur de s’avancer dans certaines parties de l’installation.
Gauthier poursuit ici ses recherches, à la croisée des arts visuels et des arts sonores, dont nous avons pu voir un exemple l’an dernier lors de l’exposition Culbutes au Musée d’art contemporain. Avec l’Italien Mirko Sabatini, il avait créé une fantastique machine composée d’une batterie de musique qui se mettait comme par miracle à jouer d’une manière presque désorganisée – une sorte d’art-audio – lorsque l’on s’en approchait.
Ce travail poursuit avec intensité les créations de Tinguely, ses sculptures de ferraille des années 60 et 70 où l’artiste parodiait la production des machines industrielles.
Certes, le travail de Gauthier est peut-être plus percutant lorsqu’il intervient dans des lieux ayant déjà une histoire. Cela ajoute à l’aspect fantomatique de son imaginaire créatif.
Nous avions été, par exemple, totalement enchantés par l’atmosphère qui se dégageait de son intervention à Saint-Jean-Port-Joli à l’été 1999. Dans l’ancien moulin aux Trois-Saumon, lors de l’événement La Cueillette organisée par le centre de sculpture Est-nord-est, Gauthier avait créé une ambiance totalement féerique et en parfaite résonance avec ce lieu ancien. Tout comme est extraordinaire, son intervention à la Biennale de Montréal.
Néanmoins, Gauthier réussit ici une installation très percutante et s’impose ainsi de plus en plus comme un artiste incontournable du milieu l’art au Québec.
Le public pourra rencontrer Jean-Pierre Gauthier à la Galerie B-312, le jeudi 26 octobre, à partir de 19 h 30.
Jusqu’au 11 novembre
À la Galerie B-312
Les aquarelles de Michel Tremblay
Le dramaturge Michel Tremblay est la vedette d’une exposition de ses récentes aquarelles au rez-de-chaussée des Cours Mont-Royal, jusqu’au 13 novembre. Ce jour-là, à 17 h, plus de 100 aquarelles seront misent en vente lors d’un encan sur lieux de l’expo. Les fonds amassés iront au Club des petits-déjeuners du Québec, un organisme qui fournit aux écoliers des milieux défavorisés des repas du matin.
À signaler
Dans le cadre de l’événement Les Nuits blanches, les productions Les Andromates nous promettent toute une soirée! Intitulée La Fête des morts, elle aura lieu dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre au cinéma Impérial. On pourra y voir quatre films d’art expérimental réalisés par de très jeunes créateurs. Ils y explorent les méandres de l’épouvante et de l’horreur. Une expo de photos accompagne le tout.
Info: 992-5298.