Diane Arbus : La vie, mode d’emploi
Arts visuels

Diane Arbus : La vie, mode d’emploi

DIANE ARBUS a photographié et fréquenté tous les exclus et les marginaux de la société nord-américaine. À Ottawa, le Musée des beaux-arts nous offre une rare occasion d’avoir un aperçu de cette oeuvre exceptionnelle.

À Ottawa, ces jours-ci, il y a plusieurs expositions d’envergure. L’amateur peut voir, par exemple, au Musée des beaux-arts, une importante présentation de tableaux du 19e siècle du peintre Cornelius Krieghoff qui, après une première à Toronto l’an dernier et un passage à Québec cette année, y poursuit son périple canadien.

Mais c’est, sans contredit, une petite expo, de seulement 35 photos – mais quelles photos! -, de l’Américaine Diane Arbus qui vole la vedette. Voilà un travail qui donne la sensation d’un coup de poing ou d’une chute dans le vide. Rares sont les artistes qui arrivent à parler de la vie avec une telle intensité.

Danseuses topless, travestis, handicapés mentaux, personnages de cirque s’exhibant à Coney Island, albinos avaleuse de sabre, hermaphrodite, fille à peau d’éléphant, nains… Diane Arbus les a tous photographiés. Elle a fréquenté tous ces marginaux et exclus de la société américaine. Ces êtres singuliers, elle les voyait comme étant les vrais nobles du monde occidental, ceux qui savent, parfois avec courage, ce que c’est que d’être vraiment différent.

Et chaque image était pour elle une rencontre, une aventure d’une profonde signification. Selon ses propres mots, l’appareil photo lui a servi "comme un permis", un passeport pour s’introduire dans l’intimité de ceux pour qui elle éprouvait un sentiment mixte confus de honte et de fascination. "Elle était comme une exploratrice", de dire l’un de ses amis dans un vidéo accompagnant l’exposition. Et, en effet, chacune de ses photos nous fait découvrir une histoire et un monde bien particuliers.

À tel point que, parfois, on a le sentiment que les images qu’elle a réalisées sont presque secondaires par rapport au contact humain qu’elles ont provoqué. Son travail nous fait du coup penser à celui de l’artiste française Sophie Calle qui n’hésite pas à se faire strip-teaseuse ou femme de chambre dans un hôtel pour tenter de changer de vie et s’introduire dans le quotidien d’autres individus.

Arbus a ainsi ouvert la voie à d’autres artistes comme Robert Mapplethorpe, Nan Goldin, Cindy Sherman, Martin Parr, pour qui l’art et la vie (avec son lot d’angoisses et de peurs) se mélange avec grande intensité.

Il est d’autant plus important d’aller voir le travail d’Arbus – qui est une des récentes sources de notre modernité – que ses photos nous permettent de nous décaper le regard de tous ces clichés esthétisants qui couvrent les cimaises des galeries et des musées de nos jours.

Arbus a eu le courage de tourner le dos à une esthétique trop léchée. À l’âge de 35 ans, elle a abandonné une carrière très fructueuse de photographe de mode (pour Harper’s Bazaar, Esquire, Glamour…) afin de se consacrer à une création plus rebutante. Et même si elle est morte trop jeune (elle s’est suicidée en 1971, à l’âge de 48 ans), elle a laissé une des oeuvres photographiques les plus riches de l’histoire de ce médium.
À ne rater sous aucun prétexte.

Jusqu’au 7 janvier 2001
Au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa

Garry Neil Kennedy
Le nom de Garry Neil Kennedy n’est pas tellement connu du public québécois. Pourtant, cet artiste canadien, vivant à Halifax, a développé depuis 40 ans une création multiforme et très originale tournant autour de grandes questions picturales. C’est pourquoi on profitera de notre visite au Musée des beaux-arts du Canada pour découvrir son travail, parfois d’inspiration minimaliste, à d’autres moments, presque dadaïste. Mais à tout coup, dans toutes ses oeuvres, se profilent la grande intelligence et la finesse de son propos.

Kennedy a souvent su ramener, l’air de rien et avec une grande légèreté, des questions picturales, presque abstraites, à un niveau plus concret, parfois très politique. Cela en est presque inquiétant. On aime beaucoup sa réflexion sur les couleurs dans sa production des années 90, en particulier dans une pièce intitulée Décorations figuratives. Des tableaux abstraits, semblables à des Barnett Newman, se révèlent être en fait des copies des rubans de médailles des militaires français… Du coup, c’est toute la peinture abstraite qu’il faut relire! Et cette rétrospective, organisée par l’Art Gallery of Nova Scotia, recèle toute une série de curiosités de ce genre. Le tout est présenté dans un certain fouillis visuel très sympathique qui change de l’habituelle installation très "clinique médicale" qui occupe habituellement nos musées et nos galeries. Un exemple de présentation que les musées devraient suivre maintenant que la modernité aseptisée s’achève.

Jusqu’au 21 janvier 2001
Au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa

À signaler
La Galerie de Bellefeuille présente jusqu’au 16 novembre les acryliques de Sophie Jodoin dont nous avions déjà pu remarquer le travail à la galerie Observatoire 4 en 95 ou bien lors de l’événement Artifice en 96.

Cette artiste peintre – dans la trentaine – poursuit dans ses récentes oeuvres une peinture qui fait fortement penser (parfois peut-être un peu trop) à Alberto Giacometti. Nous y avons senti une forte angoisse existentielle. Dans ses portraits, les figures filiformes, campées très droites sur leurs jambes, les yeux fermés et les bras pendant le long de leur corps, semblent être des fantômes venus nous hanter… Nous suivrons avec intérêt prochaines apparitions et les développements de la production de Jodoin.

Erratum
Voilà deux semaines, nous avons malencontreusement induit en erreur nos lecteurs dans notre critique de la pièce La Troisième Mémoire de Pierre Huyghe présentée actuellement au Musée d’art contemporain. Dans celle-ci, Huyghe propose en effet une lecture critique du film Dog Day Afternoon de Sydney Lumet. Cependant, à la différence de notre souvenir, malgré les libertés prises par le cinéaste par rapport au fait réel qu’il prétend rapporter, Lumet ne passe pas sous silence l’homosexualité de son héros, ni le désir de changer de sexe de son amant.