Hitchcock et l’art : La loi du désir
Alfred Hitchcock a été l’un des principaux façonneurs de notre imaginaire collectif. Le directeur du Musée des beaux-arts, GUY COGEVAL, nous fait partager sa passion pour le cinéaste avec une exposition fascinante organisée avec le directeur de la Cinémathèque française, Dominique Païni.
Productions, inc.
Nous ne prenons plus jamais nos douches de la même manière. Avec sa scène de meurtre dans Psycho, Alfred Hitchcock nous a donné froid dans le dos et a marqué à tout jamais notre mémoire collective jusque dans la plus quotidienne de nos activités. Après avoir vu les films de ce cinéaste, nous ne boirons plus nos verres de lait de la même façon (Suspicion), ni nos cafés d’ailleurs (Notorious); nous ne gravirons plus les escaliers avec la même désinvolture (Shadow of a Doubt, The Man Who Knew to Much, Vertigo) et nous ne regarderons plus avec autant de joie, au printemps, les nuées d’oiseaux dans le ciel (The Birds)…
Au 20e siècle, Hitchcock a certainement été – avec Charlie Chaplin – l’un des principaux façonneurs de notre imaginaire collectif. Il a su capter avec intensité l’énergie de notre époque. C’est pourquoi l’exposition Hitchcock et l’art: Coïncidences fatales qui vient de s’ouvrir au Musée des beaux-arts est d’un si grand intérêt. Elle permet de sonder le coeur de notre modernité et de mettre au jour plusieurs des grands thèmes de notre inconscient collectif.
Quels sont les désirs profonds qui ont hanté nos rêves? Quelles sont les pulsions qui ont habité nos cauchemars? Cette exposition imaginée par le directeur du musée, Guy Cogeval, et le directeur de la Cinémathèque française à Paris, Dominique Païni, permet de cerner quelques-uns des grands fantasmes de notre monde moderne.
La persistance de l’imaginaire
Que ce cinéaste ait eu des affinités avec les surréalistes comme Dali (avec qui il a travaillé pour des scènes de Spellbound – une salle entière est d’ailleurs réservée à cette collaboration) ou avec d’autres de ses contemporains comme De Chirico ou Edward Hopper constitue une des forces de cette présentation. Mais cela devient absolument passionnant lorsque l’on voit les ramifications de son art cinématographique avec un passé qui pourrait sembler révolu.
La grande surprise de cette présentation réside donc dans la persistance de l’imaginaire du 19e siècle. Pour reprendre le titre du livre d’un historien (Philippe Murray), on pourrait presque parler de la survivance du 19e siècle à travers les âges. "L’ombre du 19e siècle s’est étendue pendant longtemps, commente Guy Cogeval. Je ne dis pas qu’Hitchcock soit un artiste du passé, bien au contraire. Mais il a su se nourrir en puisant son inspiration dans le siècle précédent."
En effet, à voir cette expo, la démonstration est implacable. L’art de l’ère victorienne semble occuper une place prépondérante dans le cinéma du maître. Les femmes y sont fatales, inaccessibles, dangereuses, disparue, noyée, assassinées… Les liens avec les arts visuels de cette époque, avec les préraphaélites (Rossetti, Burne-Jones, Millais …) ou les Symbolistes (Fernand Khnopff, Edvard Munch, Léon Frédéric…), apparaissent avec une grande clarté. Tout comme avec la littérature de cette ère, celle des Britanniques soeurs Brontë ou de l’Américain Edgar Allan Poe… s’y dévoile un monde rempli de mystères et de situations frôlant l’irrationnel.
Une nouvelle muséologie?
Guy Cogeval se défend bien d’avoir voulu se servir de ce cinéaste pour défendre une nouvelle muséologie. "J’ai tout simplement voulu partager ma passion pour Hitchcock avec le grand public. Un film comme Rebecca a eu beaucoup d’importance dans ma vie. C’est pourquoi j’ai eu cette idée d’exposition avec Dominique Païni, il y a une dizaine d’années. L’ensemble forme une installation poétique, un cheminement parallèle à son oeuvre. Une vision presque personnelle du cinéaste".
Pourtant, Guy Cogeval a beau se vouloir humble, son exposition est néanmoins un parti pris très original dans le milieu de l’histoire de l’art occupé en majorité par des individus souvent très conservateurs. Il effectue un décloisonnement des pratiques de l’histoire de l’art et de la muséologie, en revisitant avec un certain iconoclasme l’oeuvre du grand cinéaste.
Un commentaire fait à Guy Cogeval par Pierre Théberge (ancien directeur du Musée des beaux-arts de Montréal et maintenant directeur du Musée d’Ottawa) est à ce sujet révélateur. Ce dernier lui aurait dit que son exposition était une vision perverse de Hitchcock. Il n’a peut-être pas tort.
Il faut dire que le sujet se prête bien à cette lecture. Son cinéma est par exemple constamment en train d’opérer une fétichisation des objets du quotidien. Dès la première salle, le ton est donné. Cogeval et Païni, comme des collectionneurs fous et obsédés de leur passion, comme des Sherlock Holmes et docteur Watson d’une histoire de l’art fervente de l’objet de son étude, y exposent une série de faux artefacts qui permettent de présenter les principaux films d’Hitchcock.
On y voit un sac à main semblable à celui porté par Tippi Hedren dans Marnie, un soutien-gorge similaire à celui de Janet Leigh dans Psycho, un rasoir de poche identique à celui utilisé par Cary Grant dans North by Northwest, etc…
"Toutes les scènes d’amour sont filmées comme des scènes de meurtre, et toutes les scènes de meurtre sont filmées comme des scènes d’amour", disait Truffaut à propos de la manière de travailler de ce cinéaste.
L’univers angoissant et trouble de Hitchcock sait associer voyeurisme, effroi et paranoïa (et bien d’autres émotions sombres). Il représente encore un héritage visuel important pour des artistes contemporains comme Cindy Sherman, Tony Oursler ou Diane Arbus.
La visite à laquelle le MBAM nous convie est un parcours de plus de 150 ans d’images fantasmatiques. Voilà une expo de grande envergure comme on voudrait en voir plus souvent. Elle plaira autant au grand public qu’aux spécialistes. La preuve est faite que les musées peuvent monter de grands événements sans que cela soit au détriment de la qualité visuelle et intellectuelle. Et sans avoir à présenter pour la énième fois les impressionnistes ou Snoopy…
Jusqu’au 18 mars 2001
Au Musée des beaux-arts
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