Ève Tremblay : La force de l’âge
Nouvelle venue dans le milieu de l’art, ÈVE TREMBLAY tire bien son épingle du jeu avec une exposition plus qu’honorable à la Galerie Occurrence.
Un sujet loin d’être vraiment original, mais un travail très bien maîtrisé, d’une grande intensité formelle et émotionnelle. Voilà comment pourrait se résumer l’exposition d’Ève Tremblay, à la Galerie Occurrence.
Bien sûr, son Éducation sentimentale, formée d’une vingtaine de photos de jeunes filles en fleur, fait beaucoup penser au travail d’Anna Gaskel. Mais il faut dire que le thème de l’adolescence (et de la fin de l’enfance) a été plus que couvert en art contemporain. Par un grand nombre d’artistes dont une nuée de photographes. Et pas les moindres: Tracy Moffat, Rineke Dijkstra, Wendy McMurdo, Collier Schorr, Larry Clark…
Cet été, le sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une exposition majeure à l’important Musée d’art contemporain de Bordeaux. C’est tout dire. L’enfance (est-ce la faute à Freud?), avec le passage à la vie adulte, a été l’une des clés de l’art au 20e siècle et risque bien d’être l’une des sources de réflexion essentielles dans le siècle qui débute. On n’en a pas fini avec l’âge de la puberté, les questionnements sur l’ identité, les premiers fantasmes et interrogations sur la sexualité… Difficile donc pour une jeune artiste de renouveler avec une seule expo la représentation de ce sujet.
Pourtant, Tremblay tire bien son épingle du jeu. C’est une expo plus qu’honorable. D’autant plus que cette artiste est une nouvelle venue dans le milieu de l’art contemporain. Ses photos dégagent une forte sensualité, qui rend parfois le spectateur un peu mal à l’aise. L’une des images qu’elle présente, intitulée La Douche froide – montrant deux jeunes filles en kilts très courts, comme si elles venaient de grandir d’un seul coup en les portant, en camisole et en soutien-gorge -, est même particulièrement gênante pour le visiteur qui éprouve une légère impression de voyeurisme. On y découvre une atmosphère trouble, pas du tout innocente, où les jeunes filles en fleur ne semblent pas si fleur bleue. Voilà des lolitas aussi inquiétantes qu’intéressantes.
Il faudra donc surveiller comment cette oeuvre de jeunesse – prometteuse comme l’est souvent l’adolescence – grandira et s’épanouira en se démarquant des modèles qui l’ont inspirée.
Jusqu’au 30 décembre
À la Galerie Occurrence
Constructions sociales
À la Galerie Clark, le premier solo au Québec de l’artiste montréalaise, vivant maintenant à Londres, Dominique Vézina est empreint de cette attitude ironique et humoristique que l’on exhibe beaucoup en art contemporain depuis près de 20 ans.
Ces Petits Signes de désespoir donnent à voir des dessins et des sculptures traitant de divers processus de refoulement d’une manière drôle, qui tente d’en alléger la lourdeur. On y voit une femme qui se cache la tête dans un seau, dans un tronc d’arbre, dans le cul d’une vache qui a l’air d’un immense toutou en peluche… Le caractère gamin de l’ensemble nous dit aussi comment, devant les difficultés que l’on rencontre dans le monde adulte, peut être forte la tentation de ne pas grandir et de rester dans le monde protégé par l’enfance.
Ce mélange entre des petits dessins et de sculptures montrant des parties de corps s’enfonçant dans des murs et autres objets fait beaucoup penser (sans trop de réappropriation) à l’art de Robert Gober, artiste américain qui depuis une dizaine d’années s’intéresse beaucoup au processus de refoulement, d’oppression et d’intériorisation qui sévit dans la société petite-bourgeoise.
Toujours chez Clark, le visiteur pourra aussi voir le plus récent travail de Patrick Coutu dont la cabane en bois, intitulée La moderne, présentée lors de l’événement Compulsion au Centre Saidye-Bronfman, à l’été 1999, avait été bien appréciée de la critique. C’est donc avec une certaine curiosité que les amateurs attendaient son premier solo qui s’avère malheureusement légèrement décevant.
Dans ses Constructions dans l’espace, on peut voir des structures qui font penser à la fois à des échelles, à des antennes, à des poteaux pour fils électriques… On y reconnaît une tendance – une mode? – dans l’art québécois ou le thème de la rencontre entre les constructions matérielles et symboliques du monde. Cela évoque le trio BGL, mais aussi Yves Gendreau dont on pouvait voir la construction, très proche de celle de Coutu, appelée Chantier 2000, sur le toit de la maison de la culture Côte-des-Neiges l’été dernier. Lui aussi faisait référence à Tatlin et aux liens entre l’art, la technologie et la société…
Jusqu’au 23 décembre
À Galerie Clark
Prix Pierre-Ayot et Louis-Comtois
Jeudi dernier, deux importantes récompenses en arts visuels ont été décernées par la Ville de Montréal. Le photographe Nicolas Baier a reçu le prix Pierre-Ayot, attribué à un artiste de la relève en arts visuels. Baier, malgré son jeune âge, 32 ans, a une expérience remarquable dans le milieu de l’art. Depuis quelques années, sa production est une des grandes révélations de la scène artistique québécoise. Cet automne, son travail – trois monumentales photos d’une chambre à coucher – représentait l’un des éléments incontournables de la Biennale de Montréal. En 1999, son expo Liquidation Nico & co était tout simplement formidable. Tout comme, en 1997, sa participation à l’expo De fougue et de passion, au Musée d’art contemporain, qui avait été saluée unanimement par la critique. Il a de plus participé à la conception de la très remarquée exposition Les Bricolos à la Galerie Clark, créée en collaboration avec l’artiste Emmanuel Galland, lauréat du même prix Pierre-Ayot l’an dernier. Baier est donc en bonne compagnie.
Quant au prix Louis-Comtois qui souligne la démarche créatrice d’un artiste à mi-carrière, c’est à Guy Pellerin qu’il a été attribué. Pellerin a lui aussi un parcours plus qu’impressionnant. Dans un style post-minimaliste, le peintre-sculpteur Pellerin a su développer un art d’une grande finesse que le public a pu voir, par exemple, en 1993 au Musée d’art contemporain ou, plus récemment, dans une multitude d’expos de groupe comme à la Galerie Montréal Télégraphe, ou lors de l’événement Ailleurs, présenté par Pierre Dorion à la Galerie Dazibao.
Nomination au Musée des beaux-arts
Nathalie Bondil-Poupard vient d’être nommée conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal. Auparavant, Mme Bondil-Poupard agissait à titre de coordonnatrice des expositions et conservatrice de l’art contemporain (après 1800). Elle a, entre autres, été commissaire adjointe de l’exposition actuelle présentée au MBAM: Hitchcock et l’Art: coïncidences fatales. Elle est diplômée de l’École nationale du patrimoine et de l’École du Louvre. (L. Boulanger)