Charles Gagnon : L’artiste, en deux temps
Artiste d’une grande culture, fort respecté, CHARLES GAGNON a droit à trois expos majeures ces jours-ci à Montréal. Un bilan de 45 ans de création avec des hauts et des bas.
Une création se déployant avec une constance et une cohérence intellectuelles indéniables sur plus de 45 ans, et qui a su se confronter aux grands mouvements de l’art américain; une oeuvre multidisciplinaire qui embrasse la peinture, la photographie, les collages, les boîtes-constructions, la sérigraphie et même le cinéma expérimental, tout en faisant des liens souterrains et profonds avec la musique… La démarche créatrice de Charles Gagnon mérite le respect.
Et pour célébrer ce parcours, cet artiste d’une grande culture a droit à trois expos majeures ces jours-ci à Montréal! Le Musée d’art contemporain lui consacre une rétrospective comportant 135 oeuvres, tandis que la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen de l’Université Concordia montre une sélection de 80 photos réalisées entre 1966 et 1991. À cela s’ajoute une petite, mais néanmoins très représentative, expo d’une sélection de tableaux – dont un inédit provenant de la collection de l’artiste – à la Galerie René Blouin.
C’est donc pour Gagnon – qui a reçu le prix Paul-Émile-Borduas en 95 – le temps de la consécration, mais aussi d’un bilan, bien sûr partiel, en attendant ses futures réalisations. Cet exercice devenait d’autant plus nécessaire que cet artiste n’avait pas eu de rétrospective majeure depuis celle de 1978 au Musée des beaux-arts de Montréal.
Commençons donc par la plus imposante de ces présentations.
Le commissaire Gilles Godmer propose au MAC un itinéraire très complet de l’art de Gagnon. Le visiteur pourra même y voir une série, rarement montrée, de trois films expérimentaux (un quatrième sur le peintre Yves Gaucher restant encore à ce jour inachevé) réalisés à la suite d’un engouement pour, entre autres, des oeuvres de la cinéaste Maya Derens.
Dès la deuxième salle, à l’évidence, les peintures créées dans les années 60, et en particulier au tout début de la décennie, impressionnent. Des tableaux comme November, July Painting no1, Summer, Plage, ou bien encore Painting for a Funeral Parlor sont d’une grande intensité expressive et représentent un des moments forts de la carrière de Gagnon. Le visiteur devra absolument compléter ce panorama des débuts créatifs de l’artiste en allant à la Galerie René Blouin où il remarquera deux extraordinaires peintures de 61 intitulées The Storm, After, et July Painting no 2. L’art de Gagnon y atteint une maestria et une liberté de composition semblables à celles du jeune David Hockney qui, exactement durant les mêmes années, savait lui aussi associer avec justesse peinture et calligraphie, gestualité et écriture.
Tout aussi passionnantes sont les pièces de la seconde moitié de la décennie 60 et dans lesquelles le bruit, le son et la musicalité (ne serait-ce que celle de l’harmonie des formes), qui intéresse tant Gagnon, s’énoncent avec clarté. Les échos de formes, les arythmies visuelles, l’usage du l’aluminium (que le spectateur a presque envie de faire vibrer d’une chiquenaude) nous disent une peinture qui résonne comme un tambour. Gagnon a trouvé là une manière originale d’insister sur la planéité de la surface et la présence matérielle du médium pictural que l’art moderne a tant voulu souligner en opposition avec l’illusion spatiale développée depuis la Renaissance. Ici une chaîne de métal, là un fil à plomb complètent cet univers sonore.
Cependant, il nous faudra avouer notre grande déception devant plusieurs tableaux, bien moins époustouflants, des années 70 et du début des années 80. Cette époque représente un creux dans sa production. Son travail y est très (et peut-être trop) proche de Jasper Johns, qui lui non plus ne connaissait pas alors sa meilleure période. Le spectateur y verra des pièces très inégales. Certes le propos y est intelligent. Mais il répète trop, d’une façon trop démonstrative et trop soulignée les propos de la fin des années 60. Les mots formés de lettres appliquées au pochoir, les lignes de peinture démarquées au masking tape appuient et décortiquent trop simplement les réflexions plus intuitives et formellement libres des années 60. Seules des pièces hybrides composées avec des néons et des fils électriques revalorisent cette époque.
Le Musée d’art contemporain poursuit ici un mandat fort important celui de monter des rétrospectives d’artistes incontournables de l’histoire de l’art québécois moderne. Après Marcelle Ferron, l’an dernier, c’est au tour de Charles Gagnon. L’amateur s’en réjouira.
Après cette visite au MAC, le visiteur poursuivra son parcours en se rendant à la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen où une série de photos en noir et blanc de Gagnon sont exhibées. Là encore, nous devons dire notre préférence pour les réalisations des années 60. Un regroupement d’images montrant des boules disco et un instantané pris sur une autoroute américaine séduisent. Tout comme certaines photos de désert dans les années 90.
Jusqu’au 29 avril, Musée d’art contemporain
Jusqu’au 17 mars, Galerie René Blouin
Jusqu’au 11 mars, Galerie d’art Leonard et Bina Ellen de l’Université Concordia
L’habit ne fait pas le moine?
Les photos, entourées d’un large passe-partout noir, que Claude-Philippe Benoit expose à la Galerie Occurrence sont d’une sobriété et d’une élégance discrète dignes des costumes anglais faits sur mesure dans les plus riches étoffes.
Et la métaphore est plus que justifiée puisque le photographe veut justement nous parler de l’image des hommes de pouvoir savamment construite. Cela va de leurs vêtements au décor de leurs bureaux de travail. Ainsi Benoit a photographié les ateliers des tailleurs qui confectionnent les habits des hommes d’affaires et autres puissants, ainsi que les lieux où ils exercent et assoient leur pouvoir. La photo Sans titre, no 17 de 1999 est, à cet égard, exemplaire. Un vieux décor presque somptueux avec tapisserie et meubles anciens, mais où trône un ordinateur, nous dit certes combien depuis l’apparition des démocraties les costumes et les signes extérieurs du pouvoir ont changé en devenant plus sobres. Néanmoins, Benoit nous rappelle qu’il existe toujours un code vestimentaire pour montrer sa classe mais qu’il est tout simplement plus discret, s’affichant avec moins de morgue. Discours pas vraiment nouveau, mais démontré avec distinction.
Jusqu’au 17 février
Galerie Occurrence