Raphaëlle de Groot : Toucher du regard
Et si la création artistique était avant tout une occasion de rencontres, une chance de dialoguer avec des gens et non uniquement un isolement introspectif? C’est la leçon que nous donne RAPHAËLLE DE GROOT.
Avec ses interventions artistiques et sociales, Raphaëlle de Groot nous offre une intelligente "revisitation" – plus discrète – du métier d’artiste et de sa fonction politique des années 60 et 70. Il y a eu Smithson, entre autres, qui collaborait avec des ouvriers. De Groot, quant à elle, ne vise pas une collaboration aussi authentiquement virile et "s’immisce" avec grand respect et une vraie curiosité dans des milieux très différents.
Avec ses Dévoilements présentés, à la galerie Occurrence, elle a rencontré (en leur offrant dans un premier temps de travailler pour elles) des sours ouvrant au sein des Hospitalières de Saint-Joseph. Par la suite, elle leur a demandé d’effectuer une série de dessins tout en faisant leur portrait. Un prétexte de conversation, quoi… Mais, dans les deux cas, elle fixait une règle: le travail du crayon devait se faire à l’aveugle! Du coup le processus créatif devient comme une métaphore des vraies rencontres où l’on ne sait pas vraiment où cela va mener, qui semblent se faire à l’aveuglette comme lorsque l’on marche dans le noir.
De plus, cette façon de faire n’est pas sans évoquer les dessins des automatistes où la main de l’artiste tentait de se libérer du contrôle conscient du cerveau. Le résultat est plus que beau. Les dessins ainsi réalisés sont comme des danses spatiales, de petites chorégraphies visuelles, une dynamique du trait, pourrait-on dire.
Nous avions déjà beaucoup apprécié son expo chez Skol où elle montrait son intervention auprès des utilisateurs de la Bibliothèque Centrale de la Ville de Montréal. Comme l’écrit Lili Michaud dans le texte de présentation, de Groot poursuit ici ses recherches qui "montrent les non-dits, pointent le caché, l’omis ou l’intime qui existent en latence dans l’espace public".De Groot participe aussi à une expo, à la Galerie de l’UQÀM, sur la notion de temps (encore une! après celle de Paris, de Londres, la Biennale de Montréal…); l’on peut aussi y voir le travail de David Altmejd, Jérôme Fortin, Marie-Josée Laframboise et Manuela Lalic. Elle nous là montre une autre série de dessins réalisés, effectivement, à l’aveugle… puisque certains ont été faits par des non-voyants. Plusieurs des ouvres que l’artiste a élaborées avec ces gens ont été mises en relief pour que le spectateur puisse, lui aussi, expérimenter ce que représente la cécité. Une forme d’expérience qui donne tout son sens à l’expression "être touché"…
Jusqu’au 24 mars
Espace Occurrence
Jusqu’au 31 mars
Galerie de l’UQÀM
On parle des yeux
Puisque nous parlons du fonctionnement du regard, il faut bien sûr parler de Carmen Ruschiensky et son expo: Globes oculaires. Les titres de ses tableaux forment déjà une curiosité. Cela va de Globe délirant à Globe comestible (qui ressemble à une olive – Hannibal Lecter ne serait-il pas loin? ), en passant pas Globe clairvoyant et Globe saillant. L’oil s’y trouve scruté à la loupe comme pour y découvrir le mystère du fonctionnement du regard qui s’y cacherait. On a envie de conclure en disant que l’énigme réside plus dans le cerveau qui donne sens aux images véhiculées que dans la boîte rétinienne… Mais c’est justement le secret de l’oil que de n’être qu’un écrin vide n’offrant, malgré les chatoiements de ses couleurs (profondes), que le miroitement de sa surface à examiner. Ruschiensky épie les yeux comme lorsque l’on fixe le regard d’un amant pour éprouver la force de son amour… et, du coup, nous confronte à l’absence de sens qui s’y dévoile. L’oil n’est pas le siège de l’âme.
Dans ses ouvres présentées à la Galerie B-312, cette artiste continue de faire une peinture très organique qui parfois évoque intelligemment Philip Guston mais aussi, un peu trop, le peintre américain Terry Winters; et, une ou deux fois (donc heureusement rarement!), les formes fantomatiques, en suspension et très branchées du Torontois Gary Evans. Malgré cela, cette expo de Ruschiensky nous a réservé plusieurs belles surprises et de très bons moments de peinture. Et nous continuerons de la garder à l’oil lors de ses prochaines apparitions.
Jusqu’au 24 mars
Galerie B-312
Artexte en ligne
Le centre de documentation Artexte vient juste de fêter ses 20 ans. Pour célébrer l’événement et pour élargir ses activités, ce haut lieu de la recherche en art contemporain vient de se doter d’une nouvelle base de données en ligne.Pourquoi signaler ce site plutôt que bien d’autres? Parce qu’Art public (artexte.ca) se veut une source d’information sur la sculpture publique au Québec, et qu’il faut bien reconnaître qu’il existe peu d’information sur le sujet. L’art public est encore, malgré tout, l’un des parents pauvres (d’une famille pas si riche, il faut le dire…) du milieu de l’art. Voici donc un outil essentiel pour les chercheurs, mais aussi pour les curieux qui veulent en savoir un peu plus sur cette pièce de Pierre Granche, Melvin Charney, Armand Vaillancourt, et bien d’autres, qu’ils ont vue en se promenant dans la ville… Une mine d’information qui va continuer de se développer au cours des ans et qui va s’étendre aux ouvres de tout le Québec. Une excellente initiative.
Prolongation de Hitchcock au MBA
Enfin, notons, pour que ceux qui n’auraient toujours pas pris le temps de voir cet événement), que l’excellente et très dense exposition Hitchcock est prolongée jusqu’au 16 avril. Le Musée des beaux-arts de Montréal sera d’ailleurs ouvert le lundi de Pâques pour permettre à encore plus de gens de venir faire un tour et voir l’univers pervers de ce grand cinéaste. Cette expo, qui vient de dépasser le cap des 80 000 visiteurs, se rendra par la suite à Paris, au Centre Georges Pompidou, durant tout l’été.
À signaler
Samedi 24 mars, de 10 h à 17 h, aura lieu à la Galerie Skol une table ronde intitulée Des formes de l’art aux formes de vie. L’esprit de l’importante expo de 1969 Quand les attitudes deviennent formes n’est peut-être pas très loin, ce qui nous permettra de dire que nous sommes en pleine relecture des années 60 et 70. Sont invités: Devora Neumark, Sylvie Fortin, Thierry Davila et Paul Ardenne. De plus, une soirée-bénéfice, Rencontres en coulisses, aura lieu ensuite à partir de 20 h 30. Renseignements 398-9322.