Latinos del Norte : Libre échange
Vernissages, conférences, performances, programmation vidéo et soirée avec le D.J. GENGIS DHAN, le passage des artistes de la ville de Québec à Mexico est une réussite. Sortir des sentiers battus.
Cela peut sembler presque invraisemblable d’occuper un espace significatif dans le réseau de l’art d’une mégapole comme la ville de Mexico, où vivent plus de 25 millions d’habitants. Et pourtant, c’est ce qu’a réussi l’échange "Latinos del Norte" en investissant des institutions vouées à la diffusion de l’art actuel au centre-ville de la capitale mexicaine. Trois espaces extraordinaires: une ancienne gare, une vaste habitation coloniale et une église du XVIIe siècle, construite à même les pierres du temple aztèque Mayor. Il faut le dire, le Lieu, initiateur de l’événement, continue de faire des miracles avec des moyens financiers toujours aussi modestes. Ce centre d’artistes autogéré a en effet acquis une expertise en matière d’organisation. Les artistes et les centres d’artistes de Québec verront sans doute désormais leur travail d’un autre oeil. Nathalie Perreault et Richard Martel roulent leur bosse dans divers pays depuis longtemps, établissent des contacts avec les artistes étrangers et diffusent ceux d’ici. Doublés du travail des trois commissaires (Claude Bélanger, Yves Doyon et Richard Martel) et soutenus par les centres d’artistes, une trentaine de créateurs de Québec d’horizons divers ont pu présenter leurs oeuvres à Mexico. Les trois expositions ont été fort appréciées par la presse (radio, télé, journaux) et par les nombreux Mexicains présents.
L’espace vaste de l’ancienne gare du Museo Universitario del Chopo a accueilli les oeuvres de 14 artistes, notamment celles de François Mathieu, les paysages trafiqués d’Yvan Binet – prenant ici toute leur pertinence -, les brochettes de petites reproductions de tableaux du Musée du Québec de Patrick Altman, le mystérieux bain de François Lamontagne, les estampes de Bill Vincent, l’installation photographique de Johanne Tremblay. Dans les pièces intimes de la résidence du Muca Roma, les dessins de François Chevalier, les oeuvres de Pierre Hamelin et de Murielle Dupuis-Larose habitaient magnifiquement l’espace, comme celles de Karen Pick et de Carole Baillargeon. Une programmation vidéo a permis d’apprécier une quantaine d’oeuvres, dont celles d’Henri Louis Chalem, d’Éric Gagnon et de Jocelyn Robert. Et que dire des installations dans les vastes espaces bancals de l’ancienne église devenue Ex Teresa Arte Actual? Les Tables tourmentes (1999) de Diane Landry occupaient l’espace d’une manière extraordinaire, les soeurs Couture ont réalisé leur meilleure installation et Odile Trépanier, toute en subtilité, proposait une installation vidéo intime. La série de performances, présentée aussi à Ex Teresa, a été un moment mémorable, avec un James Partaik submergeant sa tête dans une cuve d’eau pendant 10 minutes interminables, un Jean-Claude St-Hilaire humoristique et politique traçant des lignes d’Ajax; un Richard Martel théâtral, en véritable "star de la performance", peau de renard en guise de couvre-chef, couteaux et fourchettes débordant de sa bouche; une Diane Landry tournoyant son parapluie de voitures. Mais surtout, le clou de la soirée a été incarné par Jean-Claude Gagnon, une "légende vivante" comme se plaît à le répéter le sociologue Guy Sioui-Durand, avec une prestation fragile et poétique, une anti-performance émouvant toute une assemblée suspendue à son "ma tête est ma seule maison…"
Plus qu’une opportunité exceptionnelle pour les artistes de Québec, cet événement, comme le rappelle Nathalie Perreault, visait aussi à diffuser l’art d’ici hors des circuits plus traditionnels. Les artistes se tournent en effet plus souvent vers l’Europe ou bien vers l’Ouest canadien. S’il y a une dimension politique à cet échange – comme vise aussi à le faire l’art de René Derouin -, c’est de développer une conscience culturelle Nord-Sud et d’affirmer les liens entre les Latins dans une Amérique dominée par le monde anglophone. C’est aussi envisager une "américanité" qui ne se définit pas seulement par les échanges économiques, mais par des rapports culturels solidaires. Le deuxième volet de cet échange prévoit d’ailleurs la venue d’artistes de Mexico à Québec. Les centres d’artistes d’ici ont déjà entamé des liens avec les artistes mexicains, il faudra maintenant que ces derniers aient les moyens de venir jusqu’ici.
Charles Daudelin (1920-2001)
S’est éteint un autre artiste québécois ayant marqué le XXe siècle. Le siècle du développement de l’art moderne et de tous les possibles que l’oeuvre de Daudelin incarne de manière exemplaire: innovations formelles, jeu, liberté, explorations des différents arts et, surtout, la volonté d’intégrer l’art à la vie. Charles Daudelin, récipiendaire du prix Paul-Émile-Borduas en 1985, était un sculpteur, mais aussi un peintre talentueux, un dessinateur et un bricoleur. À 25 ans, il était déjà reconnu pour sa peinture. Il a été un des artistes les plus importants de l’art public. Il est l’auteur d’Éclatement II, la sculpture-fontaine installée depuis 1997 à la Place de la Gare à Québec. C’est aussi à lui qu’a été confiée, en 1984, la réalisation de la sculpture de la Place du Québec à Paris. On trouve ses sculptures publiques de l’île-du-Prince-Édouard à Ottawa en passant par le Palais de justice de Montréal. Le Musée du Québec possède 94 oeuvres de Daudelin (oeuvres sur papier, marionnettes et sculptures) et lui consacrait d’ailleurs une rétrospective en 1997. L’artiste, originaire de Granby, a voué ses dernières années à la pratique du dessin.
La vidéo nouvelle du Western Front
Quelques mots sur les deux soirées de vidéo programmées par Antitube, couvrant 10 ans de création de l’un des plus anciens centres d’artistes canadiens: le Western Front, un lieu important de résidence en création vidéo. Dix-sept bandes seront présentées, de l’art audio à la performance en passant par la vidéo politiquement engagée, des revendications amérindiennes, féministes et écologistes. Les 13 et 14 avril prochains à 19h30 à la salle Multi de Méduse en présence de Jean Routhier, membre du Western Front.