Art engagé : Aux armes et cætera
"Transformer le réel" et "changer la vie": ces idées, le mouvement de contestation lors du Sommet des Amériques les a remises à l’ordre du jour. Avant que cet élan ne s’amenuise, quelques commentaires sur des oeuvres d’art "engagées" et d’autres qui le sont moins…
Il peut parfois y avoir des coïncidences entre l’art et la politique. C’est le cas du groupe Ne pas plier, l’association d’artistes français dont la participation à la critique de la mondialisation mérite d’être soulignée. Si vous avez fait partie de ces milliers de manifestants qui appuyaient les actions visant à franchir le périmètre de sécurité, vous avez probablement vu des foulards jaunes ou rouges aux textes sérigraphiés, des affiches, des autocollants où on pouvait lire: "Résistance existence", "Ma ville est un monde", "Utopiste debout", "Money World". Ce matériel graphique, éparpillé dans la ville et distribué gratuitement, provient de Ne Pas Plier, arrivée au Lieu depuis quelques semaines. C’est par centaines que les gens sont passés et passent encore dans la rue du Pont pour prendre des autocollants, des affiches, des cartons, etc. "Ce que j’espère, dit Nathalie Perreault du Lieu, c’est que ça crée une culture d’autogestion des signes, que ça encourage le monde à trouver des images pour afficher des opinions […]. Il y a une soif de trouver des façons de dire." Cet art, qui s’apparente aux oeuvres qui s’immiscent dans l’espace public, a le mérite de ne pas seulement sortir des lieux habituels d’exposition, mais aussi d’être engagé autant dans le contenu que dans la forme. Ainsi, le travail du groupe Ne pas plier participe à élargir le champ de l’art, celui du rôle de l’artiste, et questionne le statut de l’objet d’art.
À la lumière de l’initiative du Lieu, qu’on pourrait qualifier ici d’"embrayeur" – à l’instar de l’îlot Fleurie, sorte de catalyseur et lieu important d’expression de la communauté -, on pourrait situer l’exposition que présente actuellement l’Oil de poisson presque à l’opposé des possibles. Il faut le dire, cette exposition a le mérite de soulever des questions sur le sens de l’art, voire sur sa finalité. Ce ne sont pas les seules oeuvres qu’on pourrait citer ici, mais celles-ci nous apparaissent exemplaires. Deux artistes y présentent des sculptures: Rosalie D. Gagné propose un groupe d’objets de verre soufflé remplis de liquides colorés, la seconde artiste, Caroline Flibotte, présente des sculptures de bois. De très beaux objets présentés toutefois dans un espace un peu surchargé, comme si on voulait tout montrer. En dépit de leur qualité, au terme de cette visite, il nous reste cependant une étrange sensation de déficit de sens et de contenu. Va pour l’oeuvre poétique, pour un art qui remet en cause ses limites, ses codes ou les conceptions de la doxa. Même si la fabrication comporte des difficultés qu’il ne faut jamais nier, et que l’on respecte d’emblée, il nous semble que l’art ne se limite pas à la production d’objets qui vont venir s’accumuler sur la multitude de ceux qui existent déjà. Ainsi, il apparaît que la frontière entre l’ornementation dans l’art (thème de la Manifestation internationale d’art de Québec de l’automne 2000, organisée par l’Oil de poisson qui a permis d’en démontrer le potentiel critique) et sa dimension décorative demeure très fragile. Cela fait émerger de vieilles questions qui deviennent particulièrement d’actualité: l’art peut-il passer à côté de la nécessité de changer la vie – et l’art aussi! – en agrémentant gentiment notre environnement?
Champ fluide
Jusqu’au 13 mai
À L’Oil de poisson
Épicerie d’art frais: Ne pas plier
Jusqu’au 6 mai
Au Lieu
Voir calendrier Arts visuels
Bloc-notes
Sylvie Readman chez VU
Loin de nous l’idée que l’art puisse être défini par sa seule fonction de participer aux changements sociaux, ou encore – cela va de soi – être au service de quelque programme que ce soit. Il n’y a pas une seule façon de faire de l’art et d’aucuns lui reconnaissent son autonomie. La preuve en est toutes les productions actuelles, des oeuvres qui s’adressent à l’appréciation esthétique, des oeuvres poétiques participant à stimuler notre rapport au monde et à questionner nos perceptions. C’est le cas des photographies de Sylvie Readman présentées actuellement chez Vu en duo avec les oeuvres de Lucie Lefebvre. Les photographies de Sylvie Readman sont de grands paysages où tout se joue lors de la prise de vue. Une roche dont l’impression est plusieurs fois superposée donne une image floue et instable. Le reflet des nuages dans l’eau ou les ondes d’une brindille lancée sur un lac calme composent d’autres images. Tout cela relève d’une longue observation de la nature que la photographe parvient à communiquer. Résonance, de Lucie Lefebvre et Sylvie Readman, jusqu’au 6 mai, chez Vu.