Anton Roca : Corps continental
ANTON ROCA a traversé l’Atlantique en bateau pour venir jusqu’à la Chambre blanche. Il faut voir le travail interdisciplinaire de cet artiste exceptionnel, pour qui dans le mot esthétique, il y a aussi éthique.
Pendant le périple de 12 jours à bord d’un cargo qui allait l’amener de Barcelone à Halifax, l’artiste catalan Anton Roca a mûri longuement sa réflexion, esquissé des croquis, fait des plans qu’il a, dès son arrivée, mis en oeuvre dans l’espace de la Chambre blanche. On ne peut que se réjouir de sa venue à Québec. Depuis une quinzaine d’années, cet artiste autodidacte réalise des actions, des sculptures, des installations, intégrant la photographie, le dessin. En 1986, Anton Roca fondait la Mental Permanent Factory, "un état mental d’écoute permanente" ayant notamment favorisé sa collaboration avec des musiciens et des poètes. L’année précédant la chute du mur à Berlin, il exécutait une grande fresque sur le célèbre mur, le Manoscritti über die mauer (1988). Il a participé à de nombreuses expositions en Europe et une importante monographie de son travail a été publiée récemment. En 1993, il est demeuré les pieds enfouis dans la terre pendant deux heures devant un arbre tricentenaire, une performance dont témoigne le montage de photographies Movimento interiore. Son travail plastique est fondé sur l’expérience, davantage que sur l’exploration d’un médium en particulier. Une constante importante traverse toutefois son oeuvre, c’est sa dimension éthique: "Si j’étais philosophe, explique Anton Roca, j’utiliserais la parole; je suis un artiste, j’utilise la matière…"
L’interrogation d’Anton Roca, évoquée par le titre de l’exposition actuelle, Quoi de neuf dans mon nouveau continent? (continent = corps), s’est précisée pendant la traversée: "Je suis un homme, dit-il, qu’est-ce que reconnaître ma dimension féminine?" La première partie de son projet incarne ce questionnement. Il a réalisé deux grandes photographies, une femme et un autoportrait, qui ont été minutieusement découpées et entremêlées. Les deux corps reconstitués en mosaïque créent ainsi un nouveau corps, un nouveau continent. Cette oeuvre a fait émerger un autre problème que l’artiste articule comme suit: "Quelle est la distance entre ce nouveau corps et mon propre continent?" Cette dernière question s’est incarnée dans la construction d’une magnifique structure de bois, une figure hexagonale à l’intérieur de laquelle on peut voir les mots humain, végétal, minéral, animal. Ce projet résulte de calculs minutieux et invite à l’introspection. Un autre élément compose l’installation: chaque lettre du mot ÊTRE transperce le mur de la galerie et devient une fenêtre donnant sur la rue. Comme dans chaque oeuvre d’Anton Roca, la dimension spirituelle demeure sous-jacente. Mais encore, pour Anton Roca, "l’art ne peut pas être seulement l’esthétique, l’art doit être riche, ouvrir…" Ainsi, avec cette expérience de la traversée de l’Atlantique, Anton Roca a posé les bases de ce qui seraient des relations humaines démocratiques; des relations fondées sur une approche horizontale où s’articuleraient réellement l’égalité, la liberté et la fraternité, en vient-il à conclure, passant ainsi de sa propre expérience personnelle à l’articulation de valeurs collectives.
Jusqu’au 17 juin
À la Chambre blanche
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Bloc-notes
Closet paintings
Plus que l’exposition Le Salon du blanc, regroupant les oeuvres de Caroline Gagné, Francine Lalonde, Yuriko Iga et Christiane Patenaude dans la grande galerie de l’Oil de poisson, c’est celle de la petite galerie qui retient davantage notre attention. D’ailleurs, cet espace réduit n’a jamais paru si grand! L’artiste montréalaise Robbin Deyo, qu’on a pu voir lors de la Manifestation internationale d’art de Québec l’automne dernier, propose une série d’autoportraits peints à l’huile. Les tableaux rectangulaires nous montrent l’artiste affublée de différents vêtements et sont présentés dans trois placards comme autant de lieux intimes d’exposition. De drôles de miroirs. À l’Oil de poisson, jusqu’au 24 juin prochain.
Jean Gaudreau au Théatre du Petit Champlain
Quelques mots sur l’exposition des tableaux du peintre Jean Gaudreau au Théâtre du Petit Champlain, une belle salle occupée par une quinzaine d’oeuvres de ce créateur prolifique et talentueux parvenu à vivre de sa peinture. Des oeuvres où on trouve des figures dansantes sur fonds noirs. Cette dernière série, qui saura probablement plaire, est toutefois d’une homogénéité troublante et soulève des questions plus générales, à savoir qu’est-ce qui contraint ainsi les artistes à définir un style "reconnaissable", dont le danger est une répétition réconfortante? Peut-être n’est-ce là qu’un des pièges de la création? Circonvolutions dansantes de Jean Gaudreau, jusqu’au 17 juin.